Juillet 2017, les lectures scientifiques de Jacques

Ce mois, je note en particulier.
 – la structure moléculaire du filament d’Alzheimer résolue par cryo-microscopie électronique, peut-être une étape vers une solution.
– 13.07. p. 191. Quelques éléments pour imaginer comment l’interféromètre LIGO (des ondes gravitationnelles) détecte une variation de longueur cent-mille fois plus petite qu’un atome.
–  p. 236 – 245. Un modèle liquide pour la chromatine; notre idée de 1986 rajeunie.
– 20.07. p.275. La banquise antarctique semblait résister à l’échauffement climatique. C’est du passé. Voir: https://giphy.com/gifs/l4FGvnz3Bn4JKbSYU
p. 293. Le ribosome et son étrange constitution: c’est naturel, on nous l’explique élégamment.
p. 336. Quel est le rapport entre le nombre de pas que nous marchons chaque jour et l’obésité. Analyse de 700’000 personnes dans 111 pays. Surprenant résultat.

Nous gardons un oeil attentif sur la cryo-ME.

Fitzpatrick, A. W. P., Falcon, B., He, S., Murzin, A. G., Murshudov, G., Garringer, H. J., . . . Scheres, S. H. W. (2017). Cryo-EM structures of tau filaments from Alzheimer’s disease. Nature, 547(7662), 185-190. doi:10.1038/nature23002.

 Capture d’écran 2017-07-25 à 16.05.22 Le mois passé, nous remarquions que la cryo-ME, après avoir été remarquée en tant que méthode révolutionnaire, devenait de plus en plus un outil de la biologie et que s’annonçait son impacte en médecine. Le présent article décrit l’arrangement moléculaire des fibrilles amyloïdes de la protéine t associées à la maladie d’Alzheimer. Pourquoi est-ce important? Il existe une douzaine de formes de démence associées à ce genre de fibrilles. Une autre est la maladie de Parkinson. Aucune ne se soigne de manière satisfaisante, la maladie d’Alzheimer moins que tout autre.

Comment ces fibrilles, toutes similaires, peuvent-elles induire des maladies si différentes? L’hypothèse la plus vraisemblable est que la différence est à chercher dans les détails de l’arrangement moléculaire. Le présent article résout la première de ces structures. On attend avec impatience les autres et on est curieux de savoir combien de temps il faudra pour que la cryo-ME livre ces données.
La présentation de l’article par David Eisenberg et M.Sawaya rappelle que l’hypothèse selon laquelle l’origine de la maladie d’Alzheimer est à trouver dans la structure moléculaire des fibrilles amyloïdes était posée il y a 34 ans par des scientifiques de Cambridge. Deux d’entre eux sont coauteurs du présent article. Il a fallu ce temps pour que la cryo-ME ouvre le chemin d’une solution.

Ozorowski, G., Pallesen, J., de Val, N., Lyumkis, D., Cottrell, C. A., Torres, J. L., . . . Ward, A. B. (2017). Open and closed structures reveal allostery and pliability in the HIV-1 envelope spike. Nature, 547(7663), 360-363. doi:10.1038/nature23010

06.07.2017, Nature 547, 7661.

– 7. POLITIQUE SCIENTIFIQUE. Gilles. Editorial. S. Vazire. Notre obsession pour l’éminence déforme la recherche. Le scientifique gagne de sa notoriété bien plus qu’il le mérite. Cette distorsion démontrée, par exemple, dans l’attribution des subsides, défavorise tous les autres scientifiques, les jeunes en particulier. Elle est constitutive de la « philosophie » des prix scientifiques qui, par nature, attribuent à l’un ce qui est dû à beaucoup.

 

– 11. BREVET, PRODUCTION, SÉLECTION. Interface sciences-société. L’Office européen des brevets ne permettra plus dorénavant de breveter des plantes ou animaux produits par des techniques conventionnelles. Une 80-aine de brevets ont été accordés jusqu’ici. La distinction très problématique entre « conventionnel » et « biotechnologique » est ainsi officialisée. Nous discutions le mois passé (15.6. p. 327) pourquoi cette distinction, que le droit US accepte aussi, sera source d’infinis problèmes.

 

– 17. POLITIQUE SCIENTIFIQUE, FINANCE, EUROPE. Gilles. Le programme de financement scientifique 7-annuel de l’UE Horizon 2020 (75 milliards €) est à mi-course. Il s’agit maintenant de préparer le programme-cadre suivant FP9 qui sera lancé en 2021. Un rapport commandé par la Commission à un groupe de travail dirigé par Pascal Lamy, ancien DG de l’OMC demande de doubler le budget. Stephan Kuster, directeur ad interim de Science Europe – ah, il est intéressant de voir réapparaitre cette organisation qui avait collapsé! – n’est pas surpris de cette proposition qui va dans l’air du temps qui se veut proactif pour l’innovation. Malheureusement, l’air du temps ne semble pas être très au clair en ce qui concerne l’articulation entre recherche de base et de développement.

 

– 19 – 29, 34 – 35 et 61 – 67 CELLULES INDIVIDUELLES, CHROMATINE. Un cahier spécial. On parle des cellules humaines, ou de cellules du foie, ou de cellules épithéliales, ou encore des cellules d’une tumeur, et ce sont toutes d’utiles catégorisations, mais, à la fin, c’est chaque cellule qu’il faudra comprendre individuellement à chaque étape de son développement. Je retiens ici l’article concernant l’organisation de la chromatine de cellules individuelles au cours du cycle cellulaire. Près de 2000 cellules souches embryonnaires de souris dans toutes les phases du cycle cellulaire sont analysées individuellement par Hi-C (High resolution chromosome conformation capture; une méthode qui détermine quelle séquence est voisine de quelle autre séquence). Il est montré que les différents niveaux d’association de la chromatine (boucles, TAD (topologically associated domains) et compartiments) sont caractéristiques du type de cellule et de son état dans le cycle cellulaire.

Ce travail étend ceux que nous rapportions de Nature du 6.4.17, 59 et 110. Il est ici montré que l’association de voisinage entre portions de chromatine n’est pas seulement une caractéristique du type de cellule, il dépend aussi du moment du cycle cellulaire. C’est important, ce n’est pas surprenant, mais la question fondamentale que je posais en avril ne s’en trouve pas plus avancée: comment cela se fait-il? Comment cet ordre s’établit il dans ce désordre ?

Un magnifique élément de réponse la semaine prochaine, 13.7. pp. 236 et 241.

 

13.07.2017, Nature 547, 7662.

– 148, 191 – 195. ONDES GRAVITATIONNELLES, MÉTROLOGIE, MÉCANIQUE QUANTIQUE. Manu. Contre-action quantique par masse négative pour neutraliser l’effet de recul. Moeller et al.

On mesure très précisément les distances par interférence. Typiquement, entre deux miroirs, le faisceau aller interfère avec le faisceau retour. Si la distance entre les miroirs est telle que le faisceau réfléchit en opposition de phase, les deux faisceaux s’éteignent mutuellement; il y a extinction totale, l’intensité observée est nulle. Le déplacement d’un miroir d’une demi-longueur d’onde fait passer l’intensité de zéro au maximum. Autour du zéro, un déplacement bien plus petit est détectable. Un millième de l (la longueur d’onde), c’est à dire l’ordre de l’Å, c’est-à-dire la dimension d’un atome, 10-10m, se détecte sans problème.

C’est par une telle méthode que les ondes gravitationnelles prévues par Einstein en 1916 ont été observées 100 ans plus tard. À l’occasion de cette formidable découverte, on a appris que les déplacements mis en évidence dans les interféromètres LIGO sont 100’000 fois plus petits que ça, plus petit que la dimension d’un proton, 10-15m! D’accord, si l’on part de l’extinction totale, le plus petit déplacement peut faire la différence puisque quelque chose est toujours plus que rien… mais quand même! On aimerait en savoir plus. L’article présenté ici donne une idée de cette métrologie à la limite du possible et d’une voie pour faire encore mieux. Heureusement, le lecteur non spécialiste est éclairé par une bonne présentation dans « News and views » p. 164.

Lorsque les photons du faisceau heurtent le miroir, la pression de radiation le repousse un peu. Comme le nombre de photons dans le faisceau est discret, cette pression fluctue aléatoirement ce qui occasionne un bruit de fond.

La suite me dépasse, mais voilà!

On aligne dans un champ magnétique les spins d’atomes de césium. Malgré le désordre généré par la température la proportion de spins favorablement orientés est plus grande que ceux de l’orientation inverse. Par la technique de pompage optique couramment utilisé pour les lasers, on peut inverser cette proportion. Formellement cela signifie que la température absolue de l’ensemble est négative. On peut ainsi créer un ensemble d’atomes intriqués quantiquement comme le sont les photons d’un faisceau laser.

On fait mieux. On met en intrication les atomes du miroir et ceux du nuage en état de température négative. Là, je n’ai vraiment pas compris parce que la grandeur conjuguée à la température devient la masse. Ainsi les deux états sont la masse du miroir et la masse négative du nuage de césium; ces deux états sont imbriqués ce qu’il fait que si l’un est + l’autre est forcément – comme il arrive avec les spins de deux électrons imbriqués, si l’un est mesuré up l’autre est forcément down. Le faisceau secoue la masse du miroir corrélée à la masse négative du nuage de césium; plus et moins = zéro, finit le bruit!

Il me gène de trouver si beau un phénomène qui me dépasse et je me sens un peu refroidi par le fait que l’intrication ne permet qu’une amélioration de 34% de la précision de la mesure.

Mais bon!

 

– 168 – 170. 236 – 240, 241 – 245. CHROMATINE, LIQUIDE, TRANSITION DE PHASE. Deux articles US semblables, mais indépendants proposent un modèle liquide pour la chromatine.

C’est le problème de l’empaquetage de l’ADN dans le noyau. Toutes proportions gardées, il s’agit d’empaqueter un fil de 20 km dans une balle de 10 cm tout en conservant l’accès à chaque point du fil. On peut imaginer deux concepts. (i) Le concept « solide »; on fait une grosse construction dans laquelle le fil est strictement ordonné et dont chaque point peut être atteint par un réseau de canaux et de couloirs. Ainsi l’origine du gène X sera peut-être à l’adresse: chromosome Y, région Z, boucle U, 3e contour. Ceci est la méthode classique de penser le problème, peut-être est-ce parce que c’est notre façon de s’orienter dans l’espace. (ii)Le concept liquide. Tout est mou et tout glisse, mais il y a des attirances et des répulsions qui font que chacun, finalement, va où il doit quand il doit. Mon travail sur l’eau et la physique des liquides m’avait toujours attiré vers cette solution. Nous l’avions même formellement proposée comme modèle pour la chromatine. Dubochet, J., Adrian, M., Schultz, P., & Oudet, P. (1986). Cryo-electron microscopy of vitrified SV40 minichromosomes : the liquid drop model. The EMBO Journal, 5, 519-528. C’était il y a 31 ans.

Depuis, on connait beaucoup mieux les composantes du noyau et sa biochimie. On sait en particulier que la protéine HP1 et ses variants participent à la condensation de l’hétérochromatine (région plutôt compacte et peu fonctionnelle) à partir de l’euchromatine (la soupe apparemment indifférenciée dans laquelle l’ADN parait le plus actif).

Ici, les deux groupes montrent par microscopie optique, comment HP1a induit dans la soupe de chromatine indifférenciée, ou sur des fibres de chromatine isolées, la formation de globules condensés, mais restants toutefois liquide comme le montre la façon dont ils peuvent fusionner ou se séparer. Ainsi, la séparation hétéro/euchromatine serait une affaire de ségrégation entre deux phases.

Le noyau et la chromatine sont très compliqués et ce qui affecte ce changement de phase l’est certainement aussi. Les auteurs montrent que la protéine HP1a peut induire la transition. Toutefois, la concentration de HP1a qu’ils utilisent est bien plus grande que la concentration naturelle. Il reste à faire!

Pour moi, je garde à l’esprit un système de transition de phase beaucoup plus simple, mais qui m’est conceptuellement utile. J’aime y voir le principe générateur de l’ordre de la chromatine dans le noyau et de bien d’autres choses encore.

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Le virus de la mosaïque du tabac (TMV est un petit bâtonnet de 1/3 de µm de long. (a) En solution diluée, le virus flotte librement dans n’importe quelle position et orientation. On dit que le virus est en phase liquide. (b) En solution plus concentrée, par manque de place, les bâtonnets sont obligés de s’aligner. Ils restent aussi mobiles qu’avant pour ce qui concerne la position, mais leur direction est contrainte par les virus voisins. On parle alors de cristal liquide (nématique). (c) À concentration intermédiaire, les deux phases cohabitent de manière dynamique. L’ordre est liquide ici, liquide cristallin là, évanescent et en constant échange; une région cristalline liquide peut se scinder en deux et deux régions cristallines liquides peuvent fusionner… à condition que leurs orientations soient proches. À plus forte concentration, les virus peuvent éventuellement cristalliser pour de bon. Plus rien ne bouge alors.

Au microscope optique polarisant, la danse des phases se voit parfaitement; c’est un spectacle fascinant et magnifique. Ceux qui l’ont vu n’ont pas de peine à adopter le modèle cristallin liquide de la chromatine.

 

20.07.2017, Nature 547, 7663.

– 257, 262, 275 – 7. ANTARCTIQUE, CLIMAT, BANQUISE. Jean-Pierre K. Le dernier cahier de National Geographic présente une grande carte thématique de l’Antarctique, fort utile pour voir à quoi se rapporte la récente nouvelle du vêlage de 13% du plateau glaciaire Larsen C; c’est la surface du canton de Berne envoyée à la mer en un coup.

L’antarctique, nous en parlons souvent dans ces rapports, est un continent mal connu et mal compris. Par beaucoup d’aspects, il refuse obstinément de se plier aux modèles qui, partout ailleurs, rendent si bien compte de l’effet de l’échauffement climatique. La figure montre comment depuis 40 ans, la banquise de l’Arctique perd en moyenne 13% par décade alors que celle de l’Antarctique semblait résister, même augmenter de surface. Malheureusement, il semble que l’exception arrive à terme; la banquise antarctique a rattrapé en deux ans le « retard » accumulé en 40. Le film est impressionnant.
https://giphy.com/gifs/l4FGvnz3Bn4JKbSYU
Que se passe-t-il? Il y aurait avantages à se pousser pour comprendre.

Arctique:Antarctique

– 293 – 7. RIBOSOME, ÉVOLUTION. Tous les biologistes, Lucy, Laurée, Clément. Les ribosomes sont optimalisés pour se produire eux-mêmes, selon des considérations à la Lucy sur le bon usage du temps. Joli

Les ribosomes sont les machines à fabriquer les protéines à partir de l’information portée par les ARN messager. Leur masse moléculaire est de l’ordre de 5 millions dont la grosse moitié consiste en quelques molécules d’ARN de tailles dissemblables, le reste étant une flopée (>80) de petites protéines. Comme tout le monde, j’imagine que l’origine de cette structure complexe est à chercher au temps où la vie originellement basée sur l’ARN évoluait lentement vers la forme actuelle dans laquelle ce sont les protéines qui dominent l’action. Cela se passait peut-être même avant LUCA, la première cellule dont nous sommes tous descendants. C’était sans doute l’époque où des ribozymes (ARN à fonction enzymatique) s’essayaient à synthétiser des peptides de plus en plus longs. L’une de ces tentatives, après avoir été lentement optimisée par l’adjonction de protéines protégeant et stimulant le noyau d’ARN, est devenue notre ribosome.

Le présent article, sans rejeter la vue précédente, propose une approche fonctionnelle, toute différente. Il part de la remarque que le but du ribosome est de faire des protéines en minimisant le temps à se faire lui-même. Il montre que l’optimisation de cette gestion du temps impose les propriétés constitutives des ribosomes:

– beaucoup de protéines de petites dimensions,

– une seule grande molécule d’ARN (ou quelques-unes).

Je peux formuler l’argument par une analogie (ce n’est pas celle de l’article). Vous êtes pâtissier et vous faites des tourtes de mariage. Elles sont montées sur un échafaudage en carton que votre voisin papetier vous livre au fur et à mesure de la production. Comment être efficace? D’abord, il faut recevoir le support entier; c’est évident, vous ne pouvez rien commencer sans lui. Quant à la décoration, faut-il choisir entre une grande fleur très compliquée que vos 5 employés élaboreront dans un bel effort collectif ou, laisser le personnel produire individuellement des objets simples? La réponse est claire là aussi; avec la grande fleur, vous ne pourrez commencer le travail que quand elle est prête; avec les petits objets, il y a moins à attendre.

… et c’est ainsi qu’il faut que la RNA polymérase fournisse au plus vite l’ARN complet et que les ribosomes produisent individuellement des protéines aussi petites que possible. La statistique (pas très compliquée) incorporant les données connues sur la transcription (production d’ARN) et la traduction (synthèse de protéines par le ribosome) vérifie quantitativement que la nature a bien optimisé le ribosome. Plusieurs petites remarques apportent quelques finesses au résultat. Par exemple, les ribosomes contiennent, généralement, non pas une, mais quelques molécules d’ARN. Oui, mais ces dernières sont généralement issues de la scission tardive d’un seul pré-rRNA; c’est naturel!

 

– 306 – 10. AUSTRALIE, PEUPLEMENT. Peuplement de l’Australie: 20’000 ans de plus en deux mois. Il y a deux mois, je rapportais une étude génétique des populations australiennes montrant que les différentes ethnies du territoire n’avaient pas bougé depuis 45’000 ans, soit peu après leur arrivée et pas très longtemps après la migration hors d’Afrique.

Le présent article revient sur la datation des premiers Australiens et conclu qu’ils étaient là il y a 65’000 ans. La nouveauté de cette étude est la méthode de datation. Principe: la radioactivité d’éléments du sol induit des défauts dans le quartz. Ceux-ci sont stables jusqu’à ce que leur énergie soit libérée par de la lumière. Ainsi l’émission d’une particule de quartz enfouie jusqu’ici, mais éclairée maintenant pour la première fois permet de déterminer le temps que la particule a passé enfouie. Les auteurs étudient, les artéfacts retrouvés dans un site archéologique de l’Australie du Nord.

Deux conclusions. (i) Chacun archéologue aime que son fossile soit le plus ancien, le plus représentatif ou le plus remarquable. Une fois une bonne interprétation admise, chaque chercheur aimerait bien que cessent ces perturbantes nouvelles découvertes. (ii) Jusqu’ici, on admettait que le peuplement de l’Australie remonte à moins de 50’000 ans. Les ethnologues humanophiles se réjouissaient donc que la mégafaune australienne eût disparu il y a 50’000 ans déjà. Ce n’est pas notre faute! Le résultat rapporté ici change tout. L’Anthropocène dévastateur est une vieille histoire!

 

257 – 258, 272 – 4, 287 – 8, 298 – 305. PHYSIQUE DU SOLIDE, CONDUCTEUR, ISOLANT, TOPOLOGIE. Les physiciens. Un progrès fondamental si on le juge par les commentaires. Malheureusement, l’article est trop difficile pour moi. J’aimerais qu’on m’explique.

À plusieurs reprises ces derniers mois j’ai pu présenter des avancées spectaculaires en introduisant la topologie en biologie du développement (Nature 13.4, 164 et 212).

Ici, il s’agit de commentaires dithyrambiques et d’un article que l’on dit important en topologie des matériaux.

Il y a deux moyens classiques de représenter une structure. (i) Son image avec ses lieux, ses formes, ses bosses et ses trous; c’est l’espace direct. (ii) Il y a l’espace réciproque, obtenu par transformée de Fourrier du premier (une opération mathématique). Il ne parle pas de lieu, mais seulement de dimensions; l’information concernant les grandes dimensions est proche du centre, elle en est d’autant plus loin qu’elle concerne des dimensions plus petites. Un bon structuraliste doit savoir jongler avec l’une et l’autre de ses représentations.

Les physiciens et les chimistes sont dans une situation semblable lorsqu’ils veulent parler des propriétés d’une substance. (i) Les chimistes aiment décrie les orbitales électroniques de chaque atome dans l’espace géométrique direct. (ii) Les physiciens adorent la représentation des moments dans l’espace réciproque. La transformée de Fourrier est là encore l’outil qui permet de passer de l’un à l’autre. Figure 1.

Depuis une bonne trentaine d’années, on s’aperçoit que certains phénomènes ou certaines substances qui ne semblent pas s’expliquer dans l’espace direct (ligne du haut dans la figure 1) peuvent l’être à travers les propriétés topologiques de leur représentation dans l’espace réciproque (ligne du bas sur la figure 1). En d’autres termes, ce n’est pas la géométrie de la représentation dans l’espace réciproque, mais sa topologie. C’est-à-dire le nombre de trous dans la surface.

Topo chem 20.07.17 fig.

La figure 2, reprise d’un des commentaires sur l’article, illustre le type d’objets sur lesquels la topologie se penche (il faut faire le petit jeu)

topo chem intro fig

La transformée de Fourrier permet de passer de la géométrie de l’espace directe à la géométrie de l’espace réciproque et vice-versa. Mais qu’en est-il de passer de la géométrie de l’espace directe à la topologie de l’espace réciproque ? Ce sont semble-t-il des math difficile dont on ne sait pas grand-chose. Le présent article offre des outils mathématiques pour résoudre cette relation. Ce faisant il désigne des classes de matériaux qu’il démontre avoir des propriétés topologiques remarquables et de ce fait, qui pourraient aussi avoir des propriétés électroniques non encore découvertes.

Un exemple potentiel est cité. Il s’agit de qbit, ces éléments évanescents que l’on aimerait tellement stabiliser pour en faire la base des ordinateurs quantiques. Imaginons que l’on puisse placer un qbit dans un défaut topologique comme un de ceux représentés en 2e ligne de la figure 2. Comme ces défauts vont forcément par paire, en créer ou en annuler un nécessite de coupler l’opération avec la création ou l’annulation de son correspondant. Peut-être pourrait-on ainsi faire des qbit plus stables et mieux contrôlables.

 

– 336. SANTÉ, OBÉSITÉ, ACTIVITÉ PHYSIQUE. Gilles. Althoff et coll. Stanford, US. Les téléphones portables vont révolutionner les analyses de comportement et de santé publique. En voici un exemple. Analyse du nombre de pas journalier de 700’000 personnes dans 111 pays.  Dans cette étude sont mis en relation le BMI (body mass index = poids/taille (m) au carré) et l’activité physique mesurée par le nombre de pas journaliers. Fig.1.

Nombres de pas Fig 1 Nature 200817

Selon la figure 2c, on voit sans surprise que l’activité physique diminue l’obésité, mais jusqu’à un certain point seulement. Pour les hommes en particulier, en faire davantage n’est pas mieux qu’en faire assez bien. En moyenne les femmes marchent moins que les hommes, mais la marche leur est plus profitable.

Nb de pas:obésité Fig 2c Nature 200817

Le point qui est le plus fortement mis en évidence dans cet article est l’importance de l’inégalité de l’activité dans la population. Les auteurs la mesurent par l’indice de Gini (une mesure du rapport entre ceux qui marchent le plus et ceux qui marchent le moins; il vaudrait zéro si tout le monde marchait également et 1 si tous les pas étaient effectués par la même personne).

obésite:indice de Gini fig.3 200817

Si j’ai bien compris, les personnes étudiées n’ont pas été informées, mais les données étaient anonymisées. Je n’y vois pas d’inconvénients dans le cas particulier, mais cette manière de procéder ne devrait pas devenir la règle sans réflexions et justification sérieuses.

 

  1. 07. 2017. Nature 547, 389, 7664.

– 388 9. GENE DRIVE, FORÇAGE GÉNÉTIQUE, BIOSÉCURITÉ, RECHERCHE DUALE, POLITIQUE SCIENTIFIQUE. Gilles, Sévérine. Des agences US s’attaquent forçage génétique. Souvenons-nous, le forçage génétique, c’est cette méthode inventée il y a 3 ans, retombée de la technologie CRISPR-Cas9, qui devrait permettre d’imposer l’envahissement d’une espèce par un OGM; il s’agirait de la prise de contrôle d’une espèce tout entière. Nous en avons souvent parlé avec inquiétude et nous avons constaté l’insuffisance des mesures envisagées pour rester maitres de cette technologie.

Le présent rapport nous informe que des agences US – et non des moindres – s’agitent. La première est JASON, un groupe semi-secret qui depuis le début de la guerre froide, conseille le gouvernement sur les questions de recherche militaire et de sécurité. Évidemment, ils ne nous disent pas ce qu’ils font mais le fait qu’ils aient convoqué des spécialistes et se soient penchés sur le sujet est une nouvelle importante.

Une autre agence est la DARPA (US Defense Advanced Research Projects Agency) qui annonce mettre 65 millions pour financer des recherches sur le forçage génétique alors que l’agence correspondante des services secrets (IARPA) engage des moyens non divulgués pour apprendre à détecter les organismes génétiquement forcés ou similaire.

Tout à coup, c’est beaucoup d’argent qui va dans ce domaine. Si les contrats offerts par DARPA doivent respecter de strictes conditions de sécurité et être explicitement rendus publics, les autres agences sont moins ou pas du tout ouvertes. Bien sûr, toutes ces recherches sont destinées à assurer que ces technologies ne seront utilisées que pour des buts louables, mais la longue histoire des conventions sur l’interdiction des armes chimiques ou biologiques montre combien il est difficile de différencier la connaissance défensive de la connaissance offensive.

En tous cas, l’entrée des militaires dans le jeu change profondément la donne. En particulier, toute la recherche académique sur les biotechnologies à usage potentiellement dual (dont l’usage peut être civil ou militaire) va se trouver transformée.

Aux USA, les militaires s’installent dans la recherche sur le forçage génétique avec leurs très grands pieds. Les scientifiques sont en train de perdre le contrôle sur leur propre recherche. Il aurait fallu se secouer plus tôt et bien plus que par les quelques tentatives d’autocontrôle et de coordination qui ont été tentées. Est-ce que l’Europe scientifique peut faire mieux? Il est bien tard.

 

– 400 – 1. CHANGEMENT CLIMATIQUE, AL GORE. Jean-Pierre K. Al Gore, ex-vice-président des USA avait produit le film que nous avons tous vu: An Inconvenient Truth. Il revient maintenant avec An Incovenient Sequel, que présente ici M. E. Mann, le scientifique sur lequel les négationnistes du changement climatique avaient focalisé leurs attaques. Le spectacle est prometteur, veillons à ne pas le manquer.

 

– 403. PLAGIAT, RÔLE DE L’ÉDITEUR. Une lettre de lecteur. Au début des années 70, le groupe de Crewe à Chicago développait un microscope électronique à balayage considérablement amélioré. Pour la première fois, on pouvait voir des atomes individuels déposés sur un film support ultra fin. C’était très bien.

Dans Nature 539, 485, de novembre de l’an passé, Kalinin et al. publie la photo d’un groupe d’atomes d’uranium afin d’illustrer la révolution en cours dans le domaine de la nanofabriction. Le texte donne l’impression qu’il est le pionnier de cette révolution.

 

Je n’avais pas relevé l’article dans mon rapport mensuel ayant jugé qu’il manquait de substance.

Michael Isaacson, l’auteur de la lettre rapportée ici, était un collaborateur dans le groupe Crewe. Je le connaissais, un scientifique remarquable. C’est lui qui, en 1979, a publié cette fameuse photo qui, ensuite, a même été reprise comme couverture d’un bouquin de ME. La contribution de Kalinin et al. a consisté à colorer l’image noir-blanc originale, et surtout à ne pas laisser entendre que la photo a été prise par quelqu’un d’autre. La lettre d’Isaacson remet gentiment l’église au milieu du village.

On le sait, les petits tricheurs sont légion et il est facile de ne pas remarquer qu’une image joliment arrangée est en fait volée. Aucun reproche à l’éditeur jusqu’ici. Toutefois il me semble que la publication de la lettre de lecteur est une correction bien insuffisante. Très peu des lecteurs de l’article fracassant de Kalinin ne liront la correction et le monsieur pourra continuer à se pavaner avec ses grandes idées. Le moins que l’éditeur de Nature devrait faire, serait de publier un corrigendum éditorial dans la version papier de la revue ainsi qu’une note bien visible sur la version électronique de l’article. Je doute qu’il se passe quelque chose. À suivre toutefois.

 

et encore, dans ce no., il y a encore au moins deux gros articles ( – 419 et 449) que j’aimerais approfondir. L’un concerne le marquage épigénétique qui résiste à la mise à zéro d’après la fécondation. Laurée. L’autre cherche à comprendre ce qu’est l’espace visuel, c’est-à-dire, comment sont groupés et structurés les éléments de ce que l’on voit pour qu’ils fassent sens dans le cerveau (Françoise?). Trop gros, trop dur, je renonce à en faire rapport.