L’actualité scientifique de Jacques
en novembre 2018
Le temps calme n’est pas encore revenu. Le rapport est donc lacunaire, mais il est, et presque à l’heure.
Une raison de satisfaction: le Plan S pour le libre accès aux publications continue de faire fort.
Diverses raisons d’inconfort: l’IA (intelligence artificielle) en offre chaque mois sa dose. Par exemple quand il faudra juger le mort dont l’avatar a fait tuer l’ennemi du défunt. Les conditions se préparent.
01.11.18. Nature 563, 7729
– 59 – 64. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, MORALE, ÉTHIQUE, VÉHICULES AUTOCONDUITS.
L’expérience de la machine morale.
C’est vrai, l’ « éthique » des systèmes « intelligents », par exemple des voitures autoconduites, doit être sérieusement considérée. Quelle règle faudra-t-il appliquer dans une situation où la machine doit choisir entre deux possibilités néfastes. Pour dégrossir le problème, il est une bonne idée d’explorer comment monsieur Tout-le-Monde réagit dans de telles situations. Pour ce faire les auteurs ont lancé sur le web un jeu de choix moral qui a eu un grand succès. Ils ont ainsi analysé 40 millions de décisions dans 10 langues et dans 233 régions.
Quatre scénarios sont proposés.
Ici, les freins du véhicule sont en panne. S’il continue tout droit il tue trois vieux, deux dames et un homme. S’il les évite, les trois occupants de la voiture sont tués, un jeune couple et leur garçon. Les variantes sont innombrables, trois jeunes dames, trois jeunes messieurs … |
Neuf facteurs principaux sont étudiés. humain/animal, continuer ou changer, passager/personne extérieure, nombre de personnes impliquées, hommes/femmes, bébé/jeune/vieux, comportement correct/en faute, grand/petit, en bonne santé/mal fichu, statut social haut/bas. D’autres facteurs sont parfois ajoutés : criminel, femme enceinte, docteur.
En gros, les bébés, les enfants et les femmes enceintes sont nettement protégés alors que les criminels et les animaux domestiques sont nettement sacrifiés. Pour le reste, les différences ne sont pas énormes.
Les auteurs calculent une phylogénie des groupes considérés (qui ressemble à qui ?) Trois grands groupes ressortent : ouest qui englobe en gros nos pays d’origine chrétienne, le groupe est avec plutôt les cultures confucéennes et islamiques, le groupe sud avec l’Amérique centrale et du sud, ainsi que des groupes qui furent sous l’influence française (dont la France). Toutes sortes de corrélations apparaissent, par exemple le fait que le groupe sud est plus enclin à protéger les enfants et les personnes socialement élevées que le groupe est, ou que l’importance apportée au genre et au statut social corrèle avec l’indice de Gini. Bref, beaucoup de choses ressortent de cette étude et les auteurs pensent y voir l’expression marquée de traits culturels.
Cette étude soulève un problème quant à la conception de machines « intelligentes ». L’an passé une conférence en Californie (https://futuroflife.org/ai-principes/) a cherché à définir ce que devrait être le code éthique de machines intelligentes. La conclusion fut que les règles de la morale humaine doivent rester valables pour les machines. Le présent article complique la donne en montrant combien la morale varie d’un groupe ou d’un pays à l’autre. Les auteurs concluent toutefois que ces différences ne sont pas rédhibitoires, mais que les concepteurs doivent en tenir compte.
L’un dans l’autre, je me demande si cette approche fait sens. Ainsi, la représentation en cercle de la phylogénie (ci-dessous) a tout son sens en biologie, car la distance entre n’importe quelle paire d’espèces vivantes ne dépend, en principe, que d’un seul paramètre, le temps écoulé depuis l’ancêtre commun. La présente étude est tellement multifactorielle que je me demande ce que peut être la distance entre deux groupes.
Awad, E., Dsouza, S., Kim, R., Schulz, J., Henrich, J., Shariff, A., . . . Rahwan, I. (2018). The Moral Machine experiment. Nature, 563(7729), 59-64. doi:10.1038/s41586-018-0637-6
-65 – 71. MÉDECINE, LÉSION NEURONALE, HÉMIPLÉGIE,
Restauration de la marche chez des personnes souffrant de lésions de la moelle épinière. Un succès de l’EPFL
Cassure la colonne vertébrale, déchirure de la moelle épinière, hémiplégie. Très lentement les nerfs vont peut-être repousser. Rarement ils vont se reconnecter correctement. Dans cet article, les auteurs expliquent comment ils placent chirurgicalement des stimulateurs électriques à l’origine des nerfs moteurs de muscles de la marche. Le patient s’exerce ensuite dans un dispositif qui le porte de l’essentiel de son poids en le conduisant très exactement pendant qu’il s’exerce selon le mouvement de marche décomposé en ses différents éléments soumis à la stimulation électrique coordonnée. Après quelques semaines d’exercices quotidiens, les circuits neuronaux se rétablissent et le patient réapprend les mouvements. Dans un cas favorable, il retrouve le mouvement même en absence de stimulation. Ce n’est pas encore le mouvement léger du marcheur naturel, mais, pour la première fois, la stimulation électrique apporte un espoir concret aux hémiplégiques. Bravo à ces groupes du CHUV et de l’EPFL.
Wagner, F. B., Mignardot, J. B., Le Goff-Mignardot, C. G.,Demesmaeker, R., Komi, S., Capogrosso, M., . . . Courtine, G. (2018). Targeted neurotechnology restores walking in humans with spinal cord injury. Nature, 563(7729), 65-71. doi:10.1038/s41586-018-0649-2
Il aurait été bon de proposer un rapport sur les deux articles suivants, mais hélas…
Fischer, G. (2018). Transforming the global food system. Nature, 562(7728), 501-502. doi:10.1038/d41586-018-07094-6
Springmann, M., Clark, M., Mason-D’Croz, D., Wiebe, K., Bodirsky, B. L., Lassaletta, L., . . . Willett, W. (2018). Options for keeping the food system within environmental limits. Nature, 562(7728), 519-525. doi:10.1038/s41586-018-0594-0
Histoire de salades. Nous mangions toujours des salades montées parce qu’elles venaient plus vite que nous ne pouvions les manger. Un jour nous avons sacrifié les trois dernières. Depuis, nous mangeons des salades toutes fraiches.
08.11.18
15.11.18
22.11.18, tous sacrifiés.
29.11.18. Nature 563, 7733
– 605 LIBRE ACCÈS, PUBLICATION, JOURNAUX SCIENTIFIQUES.
Le plan S se précise.
Bien sûr, les publications scientifiques devraient être libres d’accès à tous dès la publication. Le plan S, lancé en septembre de cette année par 16 pays européens ou grandes agences de financement de la recherche, veut imposer cette bonne idée dès 2020. Naturellement, les grands éditeurs qui se sont approprié à leur profit le système de la publication scientifique et qui en monnayent chèrement l’accès ne sont pas contents. Il est plus difficile à comprendre les protestations de nombreux scientifiques. Est-ce une affaire d’habitude, ou la satisfaction des sociétés scientifiques de profiter de leur propre journal (le journal Science est au nombre des protestants) ? Qu’importe le plan, S va de l’avant. Les conditions de sa mise en œuvre étaient peu claires. Elles viennent d’être précisées. Toute publication financée, tout ou en partie par les 16 organismes initiants doivent être libre d’accès dès la publication soit: (1) en publiant dans un journal en libre accès (en général les frais de publications sont alors supportés par les organismes qui financent la recherche) ; (2) en publiant dans un journal standard, mais en même temps en posant l’article – et toutes les données – dans un dépôt libre d’accès. (3) La 3epossibilité concerne les journaux « hybrides ». Ce sont des journaux standards qui permettent, contre payement, de mettre l’article en libre accès dès la publication. En fait il s’agit d’un système à double arnaque ; il faut payer l’abonnement à la revue pour pouvoir en lire le contenu puis il faut encore payer pour que l’article soit mis en libre accès. Le Plan S tolère cette procédure pour les journaux qui promettent de devenir en libre accès dans les 3 ans et que le payement fait au journal hybride pour libérer l’article ne provient pas de l’organe qui a financé la recherche.
Il se confirme ainsi que les promoteurs du libre accès font fort et, comme je le notais précédemment, ils donnent un exemple de la détermination que l’on attend de la défense du bien public face aux intérêts mercantiles. Bravo ! Les Suisses se tâtent.
613-5. GÉOINGÉNIEURIIE, CLIMAT, MICROPARTICULES
Les atténuateurs de soleil Jeff Tollefson.
J’aimerai qu’on évite la géoingénieurie parce que sa mise en œuvre poserait d’immenses problèmes pour lesquels nous n’avons pas de solutions. Pourtant devant l’emballement climatique et la vraisemblable panique qui en résultera quand les gouvernements se rendront compte de la situation, on risque bien de ne pas y échapper. Je suis donc avec inquiétude les développements dans ce domaine.
Une équipe de Harvard veut commencer dès l’an prochain l’expérience SCoPEx (Stratospheric Controlled Perturbation Experiment) afin d’étudier la possibilité de réfléchir une partie du rayonnement solaire en injectant des microparticules de carbonate de calcium (CaCO3) dans la stratosphère (>20km). Il s’agit de vérifier l’hypothèse selon laquelle, pour la bagatelle de 10 milliards de $ par an, on pourrait abaisser la température globale de 1.5°. Toutefois, nous ne perdons pas de vue vue que la démarche proposée peut retenir le flux solaire au sol, mais ne fait rien pour ralentir l’augmentation du CO2, bien au contraire.
Les éruptions volcaniques l’ont montré, le climat est sensible aux microparticules dans la stratosphère. Les sulfates sont très efficaces. On les a beaucoup étudiés au temps de la mort des forêts dans les années 80. On connait aussi leur effet néfaste sur la couche d’ozone. Le carbonate de calcium est plus sympathique (on en donne volontiers une bonne cuillère pour lutter contre l’acidité gastrique), mais, dans la stratosphère, on en sait peu de choses, comme aussi de ses effets sur la couche d’ozone. SCoPEx veut éclairer toutes ces questions et chercher les conditions d’une action efficace.
Ceux qui critiquent l’expérience dénoncent une démarche visant à changer les normes sociales face aux géoingenieurie. Ils y voient une action politique plus qu’une recherche scientifique.
-S131 – 46. IT, TECHNOLOGIE DE L’INFORMATION, INTELLIGENCE ARTIFICIELLE.
https://www.nature.com/collections/xvmwvtfchy. Dossier de 5 articles.
La révolution digitale. J’en pique deux aspects épars.
Dans 3 ans, les grands fabricants de camions introduiront les véhicules autoconduits. Il y a environ 5,6 millions de chauffeurs poids lourds aux USA et en Europe. Vont-ils perdre leur job ? De toutes les discussions dans les présents articles, j’en tire que, pour beaucoup, c’est évident, un grand nombre de postes de travail va disparaitre. On l’a vu avec l’introduction des robots dans les usines de voitures. Et puis, il y a les autres qui prétendent le contraire en s’appuyant tout autant sur l’expérience récente. De leurs opposants ils disent : « They didn’t get it slightly wrong. They got it 180 degrees wrong.”
Moi, je ne sais pas conclure quoique le bon sens me semble pousser du côté de ceux qui craignent pour les postes de travail.
Deuxième remarquequi me laisse également dubitatif – d’autant plus que je n’ai
jamais été sur les réseaux sociaux.
Chacun a son identité sur les réseaux sociaux. Que se passe-t-il quand on meurt ? On ne va pas disparaitre comme cela ! Heureusement, la vie post-mortem digitale s’organise. Les start-up Eternime ou Eter9 s’assureront que vos tweets quotidiens ne s’arrêteront pas et vous continuerez à cultiver vos amis depuis l’au-delà. Tout va bien, mais ce sera compliqué. Imaginez que, une fois mort, je fasse assassiner mon ennemi !
-630 – 1, 681-5. CLIMAT, TERTIAIRE, CHANGEMENT BRUSQUE.
Les brusques irrégularités climatiques : il y a la mer et le vent aussi.
Nous avons de bonnes raisons de vouloir comprendre la raison des très brusques changements climatiques qui ont parsemé le climat de la dernière grande glaciation entre -10’000 et – 60’000 ans. On les appelle les évènements Dansgaard-Oeschger (DO). En quelques dizaines d’années, le climat de l’Atlantique Nord fait un énorme saut qui dure de quelques centaines à quelques milliers d’années. La figure ci-.dessous (fig. 1, p. 681), illustre cette irrégularité climatique. Seize DO y sont mis en évidence. (Notons que les prémices du changement actuellement en cours sont encore bien plus violentes.)
Le présent article étudie la relation entre les DO, localisés « chez nous » et le reste du climat mondial, ou plutôt son effet dans l’Antarctique. Les auteurs mettent en évidence deux modes de couplage. L’un est probablement induit par un changement global de la circulation océanique. Il commence à avoir de l’effet 200 ans après le début de l’évènement dans l’Atlantique Nord. Le deuxième, moins considérable, mais pratiquement immédiat, est lié au changement de la circulation atmosphérique.
Il y a 1000 fois moins d’énergie dans un m3 d’air que dans un m3 d’eau, mais cela n’empêche pas que l’atmosphère et les océans exécutent ensemble la danse du climat qu’il serait bon de comprendre.
W.B. Yeats…How can we know the dancer from the dance?
Buizert, C., Sigl, M., Severi, M., Markle, B. R., Wettstein, J. J., McConnell, J. R., . . . Steig, E. J. (2018). Abrupt ice-age shifts in southern westerly winds and Antarctic climate forced from the north. Nature, 563(7733), 681-685. doi:10.1038/s41586-018-0727-5
639 – 45, ALZHEIMER, RECOMBINAISON SOMATIQUE, NEURONES.
À l’usage exclusif des biologistes. Lee et al. La recombinaison somatique des neurones est aussi impliquée dans la maladie d’Alzheimer.
La diversité des anticorps qui assurent notre défense immunologique « sur mesure » est produite par mutation somatique. (De manière un peu biaisée, on peut dire que l’évolution darwinienne a inventé Lammark là ou cela s’est avéré utile.) J’ai rapporté dans ce blog des évidences selon lesquelles la diversité des neurones du cerveau serait aussi induite par un système de mutation somatique. Le fait est disputé et on n’en sait pas grand-chose.
Par une analyse génétique détaillée du gène APP, qui code pour le précurseur de l’amyloïde (fragment associé à la maladie d’Alzheimer), les auteurs montrent que des formes de mutation somatiques sont à l’origine de la grande hétérogénéité que l’on observe entre différents neurones.
Lee, M. H., Siddoway, B., Kaeser, G. E., Segota, I., Rivera, R., Romanow, W. J., . . . Chun, J. (2018). Somatic APP gene recombination in Alzheimer’s disease and normal neurons. Nature, 563(7733), 639-645. doi:10.1038/s41586-018-0718-6