Pour la deuxième fois, mon chemin croise celui d’une jeune adulte engagée dans un processus de TOC (trouble obsessionnel compulsif).
Dur, dur ! Sur la pathologie, je n’ai rien à dire.
Dur aussi pour les parents, en particulier quand leur fille leur demande «Qu’avez-vous fait de moi ? ». Là, par contre, je me sens obligé de parler et de leur dire que ce n’est pas leur faute. Je leur rappelle le honteux scandale des autistes selon Bettelheim (forteresse vide, 1969 ; c’est tout la faute à la maman !) et le rejet systématique de la « nature » humaine par le gros des sciences sociales du 20e siècle.
Que dis-je par ce discours ? Que notre nature innée est notre destin contre lequel il n’y a rien à faire ? En refusant la culpabilité, est-ce que je ne rejette pas en même temps l’espoir d’agir ?
Halt ! Ceci est à l’opposé de mes convictions.
Anecdote.
Il y a longtemps, j’avais donné deux conférences à Paris, autour du sujet Déterminisme et liberté. À la fin de la seconde, une dame vient me parler :
« C’est un peu délicat, mais il faut quand-même que je vous le dise. Mon mari transpirait beaucoup. Nous en avions pris notre parti ; c’est sa nature ! Puis notre fils, arrivé à l’adolescence, suit les traces de son père, mais lui en est fort perturbé. Nous aussi, mais pas plus que le psy consulté, nous ne savons comment lui venir en aide. Vient alors votre première conférence. Vous expliquez que « Nature et Nurture », l’inné et l’acquis, sont indissociables, comme le sont le musicien et son instrument ; notre prison n’est pas plus dans nos gènes que dans notre culture ou notre éducation ; vous m’avez fait réaliser que c’est l’un par l’autre (Ridley, Nature via Nurture, 2003) que la liberté nous est offerte. Il ne faut pas baisser le bras sous prétexte que « c’est la nature ! » Un médecin nutritionniste nous a prescrit un régime à bas sel. La transpiration exagérée a disparu. »
Alors, pour les TOCs, quelle solution et à qui la faute si nous sommes pareillement désarmés aujourd’hui ?
Ceci est juste un essai, nuance et finesses s’élaborent petit à petit. Commençons à la louche.
Il me semble qu’une grande part de la responsabilité revient à cette stupide volonté des sciences humaines, qui a atteint ses sommets dans la 2e partie du 20e siècle, et qui consiste à vouloir faire l’impasse sur tout ce qui peut ressembler à de l’inné[1]; ce refus d’admettre que nous ne venons pas au monde comme un « tableau blanc » (Pinker, 2002, The Blank Slate) sur lequel seuls l’éducation et la culture sont libres d’inscrire n’importe quoi. Non, dès la conception chacun porte en lui un fort bagage. Pas un bagage déterminé, rigide et scellé, mais l’immense potentialité génétique que réalisera le milieu dans laquelle elle cherche à s’épanouir. Que survienne une disharmonie entre l’inné et l’acquis et la musique de la vie peut se changer en cacophonie. À ne pas le voir, une large part des sciences sociales et de la psychiatrie se retrouvent Gros-Jean comme devant au tournant de ce siècle.
Heureusement, le temps passe (lentement). Face aux progrès des neurosciences et de la génétique, la nature humaine revient dans la réalité. Freud, à ses débuts, avait formulé l’idée que, un jour, ses considérations seront ancrées dans la biologie du cerveau (citation ?). Ni lui ni ses disciples n’avaient poursuivi – bien au contraire –, mais, 100 ans plus tard, il est temps d’y revenir.
Je fréquente depuis 46 ans les gens des sciences dures (biologistes moléculaires inclus) et j’ai pu constater que, en gros, ils sont bons dans leur métier – ou en tous cas, leurs méthodes sont remarquablement euristiques. Par contre, j’ai aussi vu que, de passer sa vie à titiller les molécules ne cultive pas vraiment la finesse envers autrui. Par contre – toujours à la louche – des 20 années avec mes collègues toubibs comme aussi la proximité plus longue encore avec des psy de tous bords, m’a convaincu que la fréquentation quotidienne de personnes souffrantes affine quand même la sensibilité humaine.
Et alors ?
Vivement que vienne le temps de l’interdisciplinarité ; que les savants du cerveau et des gènes s’associent avec ceux qui ont mis tous leurs efforts à cultiver la sensibilité humaine pour que, ensemble, dans la modestie et avec le parti pris que l’autre me vaut bien, ils fassent enfin sauter le verrou qui rend les maladies psychiques inaccessibles aux uns comme aux autres.
Moyennant cette rencontre, je crois cet espoir réaliste, et plus tôt qu’on le pense.
Ajout du 26.3.14
Nature du 20.3.2014 (vol 507, 273) annonce dans son éditorial que le NIMH (Natl. Instit. of Mental Health, US) ne subventionnera plus les recherches psychiatriques qui n’auront pas un volet neuronal. En d’autres termes, le NIMH exige des psy de tous bords qu’ils n’oublient pas de penser au cerveau. Si ce dernier leur est trop étranger, il leur faudra rencontrer ceux qui s’y sentent moins perdus. L’espoir exprimé dans la dernière phrase du texte ci-dessus va-t-il se réaliser plus tôt que je ne le pensais?
[1] Pourquoi cette volonté ? Bonne question sur laquelle je compte bien revenir.