Bonjour,
Dans le présent envoi, je retiens en particulier:
– Le point sur une nouvelle forme d’activisme de la société civile pour le climat et la durabilité: les procès contre l’État. Une avenue à succès ?
– La question de la non-reproductibilité de nombreux résultats scientifiques dans les sciences du vivant. Ici, il s’agit d’une approche expérimentale rigoureuse de la non-reproductibilité honnête, pas celle issue de la tricherie. Un bel effort.
– On revient sur une extraordinaire photo de 1977 par Uli Laemmli à Genève et sur un chapitre récent de l’empaquetage de l’ADN.
– Le trou d’ozone: une grosse affaire qui le reste.
12.03.20 Nature 579, 7798
CLIMAT, PROCÈS, DROIT, POLITIQUE
News in focus, Guiliana Viglione. Pour les activistes du climat.
-814-185. Les procès populaires pour le climat ouvrent une nouvelle dimension au droit.
On connaît le cas de la fondation Urgenda aux Pays-Bas qui, en 2015, portait plainte contre l’État en exigeant une réduction de 25% de l’émission des gaz à effet de serre (GES) avant 2020. Le 19 décembre 2019, après passage devant toutes les instances de recours, la fondation a gagné. L’État doit agir. Apparemment il s’y met.
Et encore. En 2015 aussi, 21 jeunes portent plainte contre le gouvernement US exigeant, comme les Hollandais, une réduction de l’émission des GES : c’est le cas Juliana contre US que le tribunal suprême a rejeté en janvier de cette année. Chose intéressante, le tribunal a considéré que les plaignants avaient raison sur le fond, mais qu’il n’est pas de la compétence de la cour de légiférer sur le climat.
Ou alors : Au début de cette année, suite aux plaintes populaires, la 3e piste de Hearthrow à Londres a été définitivement enterrée.
Des centaines d’autres cas sont en travail.
Ces actions sont-elles importantes ? Une journaliste me parlait du procès de Renens en estimant que le juge n’avait pris aucun risque, les instances de recours y mettront bon ordre. Beaucoup partagent cet avis ; l’ordre judiciaire fait partie du monde bétonné du libéralisme économique ; il ne peut être une force de changement.
Le présent commentaire analyse les choses différemment. La machine judiciaire grince comme aussi l’économie néolibérale parce que ceux qui les défient ont raison. Le cas Juliana contre US est symptomatique. Il ne peut pas en rester là.
Viglione, G. (2020). Climate lawsuits are breaking new legal ground to protect the planet. Nature, 579(7798), 184-185. doi:10.1038/d41586-020-00175-5
RECHERCHE, REPRODUCTIBILITÉ, SCIENCE OUVERTE, ÉTHIQUE
-190-192. Comment. M.P. Raphael et al. Une expérience inhabituelle intéressante pour les biologistes et les sociologues.
Une vaste expérience pour cerner la recherche honnêtement irreproductible
Importante découverte de ces dernières décennies, beaucoup, beaucoup de résultats de la recherche ne sont pas reproductibles. Mais le fondement de la science est la reproductibilité. Elle l’a compris et elle se met sérieusement au travail pour comprendre et corriger.
La non-reproductibilité a en principe deux origines : (i) la tricherie, (ii) la non-reproductibilité des conditions expérimentales. Parce que la vie et la matière vivante sont compliquées, c’est en biologie que ce deuxième aspect est le plus notable. Mais comment expérimenter sérieusement ce sujet ? Le présent article rapporte une remarquable expérience destinée justement à préciser ce qui ne l’est pas, particulièrement dans le domaine de la recherche biologique.
DARPA (US Defense Advance Reseach Project Agency) est un organisme semi-secret qui, depuis la guerre froide, cherche à comprendre avant les autres les voies qui assureront l’avance US. Ils ont de gros moyens et une extraordinaire liberté de recherche. En 2016, DARPA a offert de financer la recherche de 8 groupes sélectionnés dans différents domaines de la biologie (pharmacologie, microbiologie, cancer, etc.) Toutefois, cette offre généreuse était associée à une exigence inhabituelle : à chacun des 8 groupes DARAP s’associait un groupe fantôme dont la tâche était de reproduire les résultats obtenus.
Il y a plus de 25 ans, la NASA a créé le groupe VI&V dont la fonction est de tester la validité des moyens mis en œuvre (matériel pour satellites, codes informatiques, etc.) Ce sont plus de 300 personnes, un gros laboratoire et des compétences tout azimut. DARAP apporta les personnes et les moyens complémentaires pour que VI&V puisse étendre ses investigations au travail des 8 groupes de la biologie. Il fallait bien DARAP pour payer une telle expérience. Par exemple, en fournissant à VI&V le microscope électronique adéquat et en déboursant pour ces contrôles de 3 – 8% du coût de l’expérience originale.
Quatre ans plus tard, une riche moisson d’expérience a été amassée. Je n’entre pas dans les détails de la différence entre le même produit fourni par différents producteurs ou entre différents batchs. Ou bien, par exemple, ils se sont attaqués à la non-reproductibilité de la diffusion dans les cellules vivantes ou artificielles, etc. Des articles ont déjà été publiés. Ce qui m’a le plus frappé – sans surprise – c’est la nécessité d’intenses communications entre l’équipe de base et celle de contrôle. Malgré l’attention particulière qui était apportée aux chapitres « matériel et méthode » rédigés par le groupe de base, son insuffisance était la règle presque systématiquement dénoncée par le groupe de contrôle. Un coup de fil était rarement suffisant. Souvent, les contrôleurs devaient passer des jours ou des semaines chez leurs partenaires pour, ensemble, mettre le doigt sur le désaccord.
Un article de synthèse est annoncé. Je me réjouis de le lire.
Raphael, M. P., Sheehan, P. E., & Vora, G. J. (2020). A controlled trial for reproducibility. Nature, 579(7798), 190-192. DOI: 10.1038/d41586-020-00672-7
GLACIOLOGIE, CLIMAT, GROENLAND, NIVEAU DE L’OCÉAN
-233 – 239. Variation de la masse de la calotte glaciaire du Groenland de 1992 – 2018. Les intéressés du climat.
Synthèse critique de toutes les données par l’équipe IMBIE, un consortium de près de 100 auteurs et presque autant d’instituts.
Jusqu’en 1990, la calotte glaciaire du Goenland était à peu près à l’équilibre, mais durant la période considérée elle s’est mise à diminuer de plus en plus vite. Depuis 1992, la perte totale a été de près de 4. 1012 tonnes, induisant une hausse du niveau des océans de10.8 ±0.9 mm. La perte se divise en deux contributions à peu près égales : (i) la fonte due à l’élévation de température, (ii) l’accélération de l’écoulement des glaciers dans la mer (illustré par les fameux épisodes de vélage).
En 2007, l’IPCC a proposé 3 modèles basés sur différentes hypothèses, prévoyant pour 2020 une contribution à l’élévation de la mer entre 15 et 35mm. Les données de la présente étude montrent que c’est le modèle le plus sévère qui correspond à la réalité. Il faut donc revoir à la hausse les prévisions pour 2100 : 150 – 270 mm.
Shepherd, A., Ivins, E., Rignot, E. et al. Mass balance of the Greenland Ice Sheet from 1992 to 2018. Nature 579, 233–239 (2020). https://doi.org/10.1038/s41586-019-1855-2
CORONA VIRUS, COVID-19, PANDÉMIE,
-265 – 273. À propos du rythme des publications scientifiques.
Deux gros articles venus de Chine à propos du virus Corona.
Ce sont les prémisses de l’avalanche qui continuera ces prochains mois. Ces deux articles caractérisent la maladie et le virus en analysant la structure du génome et les relations avec les virus semblables. Ils suggèrent une origine chez la chauve-souris.
Entre la soumission d’un article et sa publication dans un journal comme Nature il faut compter de nombreux mois quand ce n’est pas plus d’une année. Les deux présents articles ont été soumis le 7 et le 20 janvier respectivement et ils sont tous les deux publiés en ligne le 3 février. Pour le second article, ce sont donc deux semaines entre la soumission et la publication. Ce n’est pas un record, l’article sur la structure moléculaire des spicules du virus a pris 9 jours (cf. rapport JD, Science 5 février).
Bien sûr, les articles sont destinés à des spécialistes, mais, dans la situation actuelle, le gros du contenu de ces articles a déjà été largement diffusé et discuté dans la grande presse avant que le journal ne soit sorti de presse. Pandémie oblige, le rythme de publication est bouleversé. Les embargos n’ont presque plus cours.
Dans ce même cahier, une lettre de lecteur nous informe (p193) que le site LitCovid (go.nature.com/3almd5p) développé avec le soutien du NIH offre, en accès libre, la liste la plus complète des articles liés à la pandémie. Grâce à la rapidité de sa mise à jour et sa fonction de recherche élaborée il est l’outil adapté au rythme turbo de la recherche dans ce domaine, immédiatement adopté par la plupart des personnes concernées – chercheurs, médecins ou journalistes.
Wu, F., Zhao, S., Yu, B., Chen, Y. M., Wang, W., Song, Z. G., . . . Zhang, Y. Z. (2020). A new coronavirus associated with human respiratory disease in China. Nature, 579(7798), 265-269. Retrieved from https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32015508. doi:10.1038/s41586-020-2008-3
Zhou, P., Yang, X. L., Wang, X. G., Hu, B., Zhang, L., Zhang, W., . . . Shi, Z. L. (2020). A pneumonia outbreak associated with a new coronavirus of probable bat origin. Nature, 579(7798), 270-273. Retrieved from https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32015507. doi:10.1038/s41586-020-2012-7
BIOLOGIE, STRUCTURE, CHROMOSOME, CONDENSINE, SMC.
-438-42. Kim et al. À propos de l’extraordinaire gymnastique dont est capable le complexe de condensation des chromosomes (SMC). Les biologistes moléculaires.
Les complexes d’extrusion des boucles d’ADN sur les chromosomes, dont la condensine est l’élément central, sont capables de se croiser ou d’interagir à distance le long du chromosome.
L’extraordinaire photo de Laemmli et Paulsen en 1977 (ci-dessous) montrait que l’ADN des chromosomes est organisé en une suite de boucles régulièrement attachées à un échafaudage (scaffold) s’étendant sur toute la longueur du chromosome. Pour moi, cette image fut un paradigme de structure révélant la fonction. Apparemment, la sensibilité à la relation structure-fonction n’est pas le propre de tous. Qu’est-ce qu’on lui a fait des histoires, au pauvre Laemmli ! (Nous étions voisins durant toutes mes années de thèse à Genève.) Combien a-t-il été dit que ses photos n’étaient qu’artefacts ou bizarreries ininterprétables, et combien a-t-il fallu de temps pour que l’organisation en domaines contrôlés au niveau de l’échafaudage soit enfin admise et comprise ? Maintenant, on sait que le complexe de condensine, impliqué dans la condensation des chromosomes interphasiques (non condensés) en chromosomes mitotiques (condensés), est aussi le moteur qui, attaché à l’échafaudage, contrôle la formation des boucles par extrusion de l’ADN, et donc, contrôle les portions du génome qui doivent être exprimées ou non.
Le présent article étudie par microscopie optique la façon dont ces complexes interagissent et combinent leurs fonctions. Il montre qu’ils peuvent agir sur une même boucle dans des sens différents le long de l’ADN. Ils peuvent aussi se croiser sans se perdre. Voilà qui est bien étrange. Je dois avouer qu’il me faudra y revenir, car la géométrie des phénomènes décrits est un sac de nœuds.
Paulson, J. R., & Laemmli, U. K. (1977). The Structure of Histone-Depleted Metaphase Chromosomes. In: Cell 12, 817-828.
Kim, E., Kerssemakers, J., Shaltiel, I. A., Haering, C. H., & Dekker, C. (2020). DNA-loop extruding condensin complexes can traverse one another. Nature, 579(7799), 438-442. doi:10.1038/s41586-020-2067-5
26.03.20 Nature 579, 7800
TROU D’OZONE, ANTARCTIQUE.
Des nouvelles des trous d’ozone ; pour ceux qui s’intéressent au climat.
-500-501 (commentaire), 544-548 (article),
La réduction du trou d’ozone de l’Arctique a une influence globale sur la circulation des courants atmosphérique de l’hémisphère sud.
Le trou d’ozone qui s’agrandissait d’année en année dans la stratosphère (10 – 20 km) de l’hiver antarctique fut découvert au début des années 80. Il est important puisque la diminution de l’ozone à haute altitude accroît la dose UV arrivant au sol. Les Australiens ont dû apprendre à porter des lunettes noires et à se protéger la peau. L’autre conséquence est que le trou d’ozone change les flux thermiques dans la stratosphère. Alors qu’elle était chauffée par l’absorption d’UV le trou d’ozone la laisse froide ce qui est important pour la circulation des courants à ces altitudes. Paul Crutzen, Mario Molina et Sherwood Rowland ont reçu le prix Nobel de chimie 1995 pour avoir découvert que le trou d’ozone était dû aux nuages qui se formaient par grand froid dans la stratosphère et dont les microparticules étaient polluées d’hydrocarbures chlorés, fluorés ou bromés. Ces molécules catalysent efficacement la destruction de l’ozone.
En 1987 fut signé le Protocole de Montréal qui interdit la production et l’usage de ces molécules. Exemple remarquable de vraie gouvernance mondiale, ce traité porte lentement ses fruits. Ainsi le jet-stream de l’hémisphère sud qui était précédemment situé aux environs de 49° de latitude a été repoussé vers 51° par le développement du trou d’ozone. Comme on ne joue pas impunément avec les jet-streams, toutes les conditions atmosphériques de l’hémisphère sud en étaient influencées. Le présent article met en évidence la relation entre le développement du trou d’ozone et la migration du jet-stream vers le sud entre 1980 et 2000 ainsi que son lent retour vers le nord depuis le début du siècle. Il conclut que l’action humaine influence le climat terrestre durablement et à grande échelle.
Voici matière à méditer quand on compare la quantité des molécules halogénées avec celle du CO2 déversé dans l’atmosphère.
Karpechko, A. Y. (2020). International regulations have paused a jet-stream shift in the Southern Hemisphere. Nature, 579(7800), 500-501. doi:10.1038/d41586-020-00787-x
Banerjee, A., Fyfe, J. C., Polvani, L. M., Waugh, D., & Chang, K. L. (2020). A pause in Southern Hemisphere circulation trends due to the Montreal Protocol. Nature, 579(7800), 544-548. doi:10.1038/s41586-020-2120-4
Et encore dans le no. suivant :
02.04.20 Nature 580, 7801
TROU D’OZONE, ARCTIQUE.
-18-19.
L’affaire du trou d’ozone n’est pas finie.
Surprise de printemps! Un grand trou d’ozone s’est formé autour du pôle Nord. Quoique rare, ce n’est pas la première fois qu’apparaît un tel phénomène (1997, 2011), mais le présent trou est en voie de dépasser tout ce qui a été observé précédemment au nord (voir fig. ci-dessous).
Est-ce dramatique ? Le court rapport ne semble pas en faire un caca nerveux, car, pour le moment, le trou est hors des zones peuplées, mais cela pourrait changer et devenir compliqué pour les populations concernées.
Quoi qu’il en soit, le monde reste avec un problème de molécules halogènes que l’on n’arrive pas à éliminer, malgré le Protocole de Montréal. D’une part, ce protocole n’a jamais pris en compte les installations existantes qui, vieillissantes, laissent fuir des quantités significatives de polluants (Nature 579, 7800, 472 (éditorial)). De plus, des sources de pollution localisées, mais importantes ont été observées par satellites ces dernières années . Il s’agit probablement de production illégale. C’est à la Chine d’y mettre bon ordre. Elle y a tout intérêt.
Decades-old refrigerators and insulation from buildings are leaking ozone-destroying chemicals: nations must act. (2020). Nature, 579(7800), 472. doi:10.1038/d41586-020-00883-y