Point 1. La crise du climat.
Une bonne chose pour commencer: il semble que nos concitoyens, ainsi qu’une grande partie des Européens, ont maintenant compris que le climat est en crise. Le gentil monsieur Berset a été effaré par « l’incroyable » tornade de La Chaux-de-Fonds. Forte leçon ! J’aurais préféré qu’il l’ait apprise plus tôt et que, avec tous nos dirigeants, ils aient placé, depuis longtemps, la crise du climat en tête du programme politique. J’aurais aimé qu’ils nous conduisent, tous ensemble, afin d’y faire face. C’est de la survie de la civilisation qu’il s’agit ; tous les scientifiques compétents le disent. Le monde a déjà pris un gros degré, en Suisse plutôt 2,5° à cause du climat montagnard. Je vous conseille de lire ou d’écouter Martine Rebetez, notre valeureuse spécialiste du climat suisse. Elle parle haut et fort et elle connaît son sujet. Lisez par exemple : La Suisse se réchauffe ; https://www.epflpress.org/produit/194/9782889154937/la-suisse-se-rechauffe, ou écoutez sa récente intervention sur RTS : https://www.rts.ch/info/sciences-tech/environnement/13300781-martine-rebetez-ce-quon-observe-aujourdhui-au-niveau-du-climat-etait-annonce.html.
Je ne suis pas un spécialiste, mais je connais un peu la physique et la chimie et, pas mal en ce qui concerne la flotte. Laissez-moi vous proposer ma petite analyse. Le CO2 est le gaz à effet de serre le plus connu. Peu de gens réalisent que l’eau en est aussi un, plus puissant encore. L’un et l’autre sont pourtant bien différents. Lorsque le premier entre dans l’atmosphère, il y reste pour quasiment toujours. Dans 10’000 ans, une grande part sera encore là. L’eau, elle, entre dans l’atmosphère par évaporation, mais elle n’y reste guère. Elle produit les nuages, la pluie et la neige, elle joue avec le soleil et les vents. Les navigateurs et les alpinistes le savent, en quelques minutes tout peut changer. Règle du pouce, simple et bien pratique : la vitesse d’évaporation de l’eau est multipliée par 10 chaque fois que la température croît de 10°C. Comme, depuis le début de l’ère industrielle, la Terre a pris 1°C, un simple rapport logarithmique nous indique que le flux d’eau vers l’atmosphère a globalement augmenté de 100 %. En Suisse où la température moyenne est montée de 2,5°C, le transfert vers l’atmosphère s’est globalement accru de 250%. De ces chiffres, tout le monde peut comprendre qu’il va y avoir du pétard. Ceci est la conclusion de ma petite analyse.
Quant aux détails – où, quand, comment ? – même les spécialistes et leurs gros ordinateurs peinent. Nous l’avons vu ce dernier mois quand l’orage annoncé est passé juste un peu plus loin – ou vice-versa. Ce qui est certain, c’est que l’atmosphère devient de plus en plus agitée ; les extrêmes sont plus intenses et plus rapides à se manifester. Nos spécialistes le font savoir depuis longtemps. La tornade de La Chaux-de-Fonds était annoncée. N’est-ce pas Mr Berset ?
Point 2. La vie en crise, la biodiversité menacée.
Il s’agit là encore d’une conséquence de l’échauffement climatique et de l’emprise néfaste de l’homme sur la nature. On dit que le taux de disparition des espèces est mille fois plus grand qu’avant l’époque industrielle. Pourtant, des espèces, il y en a beaucoup. Est- ce grave que certaines d’entre elles disparaissent ? Les biologistes, ceux dont le métier est d’étudier l’écologie globale, l’affirment. Beaucoup disent même que la perte de la biodiversité est la plus grande menace qui pèse sur la vie. Feu mon collègue Pierre Hainard et, plus récemment, Antoine Guisan m’ont convaincu.
Pour le comprendre, il faut considérer la vie dans son ensemble. Elle s’est développée sur Terre pendant des milliards d’années par l’intégration du flux de changement dans le grand jeu de la sélection naturelle. La théorie de l’évolution en rend compte. Ainsi, la vie est un tout, solide sans doute, mais impitoyable. Les êtres humains s’y arrogent une place insupportable. La vie ne disparaîtra sans doute pas, mais elle va se réorganiser. Y aura-t-il encore une place pour nous ?
Et alors, le loup du val d’Hérens ? Nous aimons nos paysans de là-haut. Nous les comprenons. À nous tous d’être conséquents.
Point 3. Un système économique mortifère.
Revenons à La Chaux-de-Fonds. Trois semaines après la tornade, la RTS constate que, dans un bel élan de solidarité, les réparations vont bon train, la production reprend à plein. Ouf, on ne manquera pas de chocolat ! À l’hiver 2020, le ciel fut soudainement épuré de tous ses avions. À Pâques de cette année, la RTS – encore elle – se réjouissait du dynamisme retrouvé des aéroports suisses et des cohues qui s’y pressaient. Tout va bien, l’anormal a repris sa place, la croissance est repartie !
J’aime bien la croissance ; celle du bonheur, celle de la culture, celle de la paix publique et personnelle. Cependant, celle qui exploite les services non renouvelables de la planète est insupportable. La théorie du donut de Kate Raworth (voir par exemple : https://www.oxfamfrance.org/actualite/la-theorie-du-donut-une-nouvelle-economie-est-possible/ ) illustre la vraie signification des limites de la croissance. Actuellement, l’humanité – nous les Suisses en particulier – vivons largement hors limite. Les incendies des forêts comme aussi la tornade de La Chaux-de-Fonds illustrent ce déséquilibre. Ce dépassement est, sans doute, la principale raison de la faim qui augmente, les migrations qui s’intensifient, les conflits qui se développent partout et le système sanitaire qui ne peut suivre. Aux dernières nouvelles, le programme des Objectifs de Développement durable de l’ONU (https://www.un.org/fr/exhibit/odd-17-objectifs-pour-transformer-notre-monde) ne va pas bien. Bref, la recette basée sur la croissance des biens non durables n’est pas la bonne. L’économie doit radicalement changer ses principes. Il y a urgence.
Point 4. Sait-on encore vivre ensemble ?
Dans la présente liste, il s’agit du point qui est le plus facile à rapporter parce que nous le connaissons tous, directement.
J’aime raconter que la vie de chacun se construit sur deux jambes ; l’une, c’est moi, mon corps, ma peau, mes mains, ma tête. L’autre, ce sont mes liens sociaux ; le monde et moi les avons construits tant bien que mal, depuis ma naissance. Avec le prix Nobel, « ma société » s’est brusquement transformée, en gros, sympathiquement d’ailleurs, mais il s’agit, quand même, d’une vaste supercherie.
En quelque sorte, nous vivons tous une rupture semblable. En tant que personne âgée, les gens que je croise dans la rue en seule compagnie de leur iPhone et la place de jeux de mon enfance, maintenant devenue parking exclusif, sont surprenants. On fait avec ! À l’échelle de temps des jeunes, les transformations qu’impose le web sont encore plus extraordinaires. Eux aussi font avec ! Mais comment, tous ensemble, ferons-nous pour que notre jambe sociale reste solide ? La question s’étend au monde entier. L’état du monde que nous rapportent les médias n’est pas un bon présage.
Point 5. L’IA, intelligence artificielle.
Je n’y comprends pas grand-chose, mais j’ai l’impression qu’il s’agit du défi le plus formidable auquel l’humanité est confrontée.
J’ai lu le gros rapport (220 pages) du Pew Research Center (http://pewresearch.org/internet) qui rapporte les avis motivés d’un large panel d’experts. En résumé, ils ont un “deep concerns about people’s and society’s overall well-being. But they also expect great benefits in health care, scientific advances and education”. Selon ma lecture, le poids des arguments “contre” dépasse lourdement celui des « pour ». J’y rejoins la déclaration du Secrétaire général de l’ONU (file:///Users/jduboche/Desktop/Ecrits%20en%20travail/09%20Des%20idées%20d’articles/2307_00%20AI/2307_19%20Le%20chef%20de%20l’ONU%20met%20en%20garde%20contre%20les%20risques%20de%20l’IA%20-%20rts.ch%20-%20Monde.html) qui met en garde contre « les risques de l’intelligence artificielle (IA) pour la paix et la sécurité mondiale. Il a appelé à mettre en place des garde-fous contre une technologie « sans précédent ». » Chaque semaine, Nature, mon hebdomadaire favori, ajoute sa livraison d’analyses. Dans un éditorial récent (27 juillet 2023, 619, pp. 671-2) l’auteur constate que la façon dont fonctionne ChatGPT (ou les LLMs, Large Language Models) est mystérieuse. « … the precise reasons why LLMs behave the way they do, as well as the mechanisms that underpinned their behaviour, are not known – even for their own creators.”
On dit que les GAFFA font beaucoup d’argent en vendant la publicité ciblée. Je ne pense pas qu’ils en resteront là. Logiquement, c’est la connaissance à laquelle ils vont s’attaquer. La science en tant que bien public va-t-elle nous échapper ?
J’apprécie les analyses d’Harari. https://www.ynharari.com/fr/. Il constate que notre civilisation, construite sur le récit, se retrouve face à un organe non humain qui pourrait construire et imposer son propre récit. Finalement, on en arrive à une question plus fondamentale encore : faut-il que l’éthique reste une affaire humaine, ou peut-on la laisser en main d’une entité non humaine ? Une bonne discussion se trouve dans le Manifest Humaniste Américain II. https://americanhumanist.org/what-is-humanism/manifesto2/.
J’ai mes idées à ce propos.
Points 6. Solutions.
Le problème n’est pas la crise du climat, ni les points 2-5 ci-dessus, mais le fait que nous n’agissons presque pas pour y faire face.
Que faire alors ? Ma réponse est simple : il faut agir beaucoup plus vigoureusement ! Pour ce qui concerne le zéro C fossile en 2050, le chemin est connu. Pour les autres, la réponse est essentiellement la même : il faut agir beaucoup plus vigoureusement ! De tous nos partis traditionnels, gauche et droite, je n’en vois pas un qui assume vraiment cette révolution. C’est pour cela que nous soutenons les grévistes du climat, les zadistes et les quelques mouvements politiques qui osent être radicaux. Actuellement, chez nous, c’est Ensemble à gauche qui incarnent ce courage au mieux. Nous les soutenons.