Thomas Piketty. Une Brève Histoire de l’Égalité. Seuil 2021

Adolescent, j’avais posé à mon père la question qui me titillait : « Les gens très riches nous embêtent, mais, sont-ils vraiment importants ? » Mon papa était un honnête homme, profondément engagé pour le bien commun ; il était, globalement, confiant de la bonne marche de notre société. Il me répondit : « Oui, il est détestable que certains accumulent tant de richesse, mais ils sont si peu nombreux que, finalement, on peut les oublier. » Optimisme béat ou autruche satisfaite ? Il est vrai que, à cette époque, la discrétion était la règle de base des riches. Depuis, beaucoup a changé. D’une part, les combats sociaux ont porté des fruits. L’État exige la transparence et il est devenu plus compliqué de jongler avec l’argent sale. De l’autre, l’informatique s’est installée partout. Les grandes fortunes sont devenues un important champ de recherche pour les économistes curieux.  

C’était à un colloque de l’Académie Engelberg en 2013 que, pour la première fois, j’ai pris connaissance de leurs travaux. Richard Wilkinson y présentait une conférence intitulée « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous ». https://academia-engelberg.ch/en/archive/Dans cette conférence et dans le livre éponyme (Wilkinson & Pickett, 2010) la question du premier paragraphe trouvait une réponse solide et détaillée ; mon papa n’avait pas raison ! J’ai découvert à cette occasion ce qu’est l’indice de Gini qui, en un chiffre, exprime la disparité entre riches et pauvres. Sur cette base, j’ai découvert avec effarement tout ce qui corrèle avec cet indice. On le comprend assez bien pour ce qui est de l’espérance de vie ou le fait que les gens se disent heureux (les riches vivent plus longtemps et se disent plus satisfaits), mais comment se fait-il que, à peu près, tout ce qui se passe dans la vie se retrouve dans l’indice de Gini. Je ne cite qu’un exemple : le nombre de mère adolescentes. Pourquoi y en a-t-il moins dans les sociétés plus égalitaires ? La réponse n’est pas triviale ; elle nécessite de creuser dans ce qui fait notre société. Wilkinson et Pickett sont professeur.e.s d’épidémiologie à New York, ils ont de la matière pour y réfléchir. Leur livre nous permet de le faire avec eux.

Mais pour avoir une vue globale du rôle des riches dans la société c’est chez Thomas Piketty qu’il faut aller. Il est un économiste-historien français devenu célèbre avec la trilogie monumentale : 
– Les Hauts Revenus en France au XXe siècle. Inégalité et redistribution, 1901 – 1998. (2001, 2011)
– Le capital au XXIe siècle (2013).
– Capital et idéologie (2019).
Ensemble, ce sont plus de 3000 pages, en somme faciles à lire si on veut bien se donner le temps. Je n’y ai pas mordu tout de suite. J’y suis arrivé par la voie courte, mais dense, d’un article de 6 pages dans le journal Science :
– Piketty, T., & Saez, E. (2014). Inequality in the long run. Science, 344(6186), 838 – 843. 
De là, je n’ai plus quitté Piketty et je l’admire de plus en plus. Ainsi, en reprenant mon blog, j’ai pensé qu’il était bon d’attirer l’attention sur son livre récent :
– Une brève histoire de l’égalité (2021).
On y retrouve, en seulement 350 pages et beaucoup de tableaux, l’essentiel des 3 gros bouquins, toujours avec la rigueur et la verve qui caractérisent l’auteur. Je ne vais pas vous résumer ce condensé de l’œuvre Piketty, mais avec lui, à partir du XVIIIe siècle, nous suivons la montée de la mondialisation de l’économie sur fond d’esclavage et de luttes sociales jusqu’aux invraisemblables excès du néocapitalisme actuel. Il y en a trop pour lire « Une brève histoire de l’égalité » comme un roman ; il faut plutôt le prendre comme un livre de chevet qui nous fait progresser dans une terrible histoire dont, globalement, le fil rouge conduit vers plus d’humanité et de démocratie. Eh oui ! Finalement, le message est optimiste.

Bonne lecture.

Notez finalement que Piketty viendra personnellement nous parler de tout cela. Ce sera la dernière des 5 conférences « Envie d’agir » qui m’avaient été offertes à l’occasion du prix Nobel. Elle aura lieu le 3 octobre 2024 vers midi, dans le grand auditoire Amphimax de l’UNIL. Réservez la date.