Après 37 jours de grève de la faim, Guillermo Fernandez a obtenu ce qu’il demandait : que l’Assemblée fédérale reçoive une information sur la réalité de la crise du climat et de la vie par les scientifiques qui sont au cœur de cette connaissance.
Ce n’est qu’un premier pas. J’espère qu’il va ouvrir une transformation de notre système démocratique.
La science n’est pas la politique, mais la politique doit être informée par la science. La pandémie actuelle le prouve cruellement. La crise du climat n’a pas encore la même résonnance dans le public, mais il ne faudra pas beaucoup d’années avant que la dure réalité ne s’impose. Ces deux exemples n’achèvent pas la liste des domaines de la science qui ne manqueront pas de faire irruption dans la conscience populaire et dans la politique nationale. Il ne faut pas attendre pour faire sérieusement face à l’effondrement de la biodiversité et de la dégradation du milieu terrestre. Semblablement, on ne pourra pas négliger longtemps la ribambelle des questions que soulèvent les nouvelles technologies développées sans ne guère prêter attention à leurs conséquences. Je pense en particulier au web et à la connexion universelle, à l’intelligence artificielle qui n’agira pas forcément pour notre bien, aux nouvelles médecines et aux OGM dont le chapitre ne fait que s’ouvrir.
Hoops, tout cela risque de devenir bien compliqué. Faut-il pour autant préférer l’ignorance ?
Non, bien sûr, mais il faut réaliser que la connaissance scientifique est une matière exigeante qui demande de l’effort et du temps. Or du temps, nous en manquons tous, et l’effort, nous préférons souvent l’investir ailleurs. C’est normal, on ne peut pas tout faire ni tout connaître en ces temps où la science et les techniques avancent vite, trop vite. Malgré les multiples canaux d’information, il est bien difficile au non-spécialiste de se tenir au courant. Le résultat en est que la culture scientifique de la population suisse n’est pas brillante.
Nos parlementaires fédéraux ne sont guère plus avancés. Ils sont férus de sciences politiques, beaucoup sont des professionnels du droit, mais peu sont solidement formés aux sciences de la nature. Ainsi, la plupart ne savent pas grand-chose des enjeux de la science et de la technique.
En 1992, dans un moment de grande clairvoyance, le parlement a voulu contribuer à surmonter ce manque en créant la fondation TA-SWISS. https://www.ta-swiss.ch/fr. Il s’agit d’un organisme multidisciplinaire, actuellement dirigé par l’ancien conseiller fédéral Moritz Leuenberger, dont la mission consiste à informer nos parlementaires – et la population – sur les développements scientifiques et techniques qui sont susceptibles de transformer notre avenir. Allez voir ce site ! Il est fait pour chacun. Il contient une foule d’information passionnante. Malheureusement, il n’est pas certain que les membres du Parlement ont pleinement profité de cette aubaine. Il reste beaucoup à faire.
La démarche de TA-SWISS est intéressante par ce qu’elle ne vise pas à faire parler le meilleur spécialiste du domaine – il peut toujours se tromper – mais à faire surgir l’intelligence collective de l’ensemble des personnes compétentes sur un sujet donné. Dans ce sens, la plus grande expérience d’intelligence collective jamais réalisée est probablement celle du GIEC, https://www.ipcc.ch, – le Groupe International d’Étude sur le Climat (IPCC en anglais) – que l’ONU a constitué en 1988. Cent nonante-cinq nations y participent impliquant à peu près tous ceux qui, dans le monde, sont reconnus pour avoir des compétences dans ce domaine. Leur travail conduit à une série de rapports qui, ensemble, représente la synthèse cohérente de la connaissance humaine sur le climat. Un effort comparable, quoique moins avancé, concerne la biodiversité. Il est porté par l’IPBES, Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, https://ipbes.net.
Les scientifiques de Suisse sont très actifs dans les deux groupes. Plusieurs d’entre eux.elles y occupent des fonctions de leaders.
La demande de Guillermo Fernandez que l’Assemblée fédérale reçoive une information sur la réalité de la crise du climat et de la vie a donc été acceptée. C’est une grande victoire. Les parlementaires seront convoqués en mai à une séance d’information sur le climat et, peu après, à une autre sur la biodiversité. Les informants seront les scientifiques de Suisse participants au GIEC et à l’IPBES. Les explications qui seront fournies dans ces séances seront accessibles à toute la population. Pour la première fois dans notre démocratie – à ma connaissance – notre Parlement se donnera les moyens de mettre la science au centre de sa politique. Ce sera un grand moment.
Il reste à espérer – et à s’engager – pour que cette première rencontre n’en reste pas là. Je rêve que notre Parlement se donne les moyens de pérenniser ce premier pas. Par exemple, que, dorénavant, toutes les sessions parlementaires débutent et se terminent par une journée de formation à la science. Mutatis mutandis, TA-SWISS pourrait y jour un rôle.
Merci Guillermo, d’avoir pris le risque mortel qui a conduit à ce premier pas. Tu as gagné. À nous tous de faire fructifier ton succès.