Colline du Mormont: les orchidées contre le ciment

Le plateau de la Birette au Mormont sur la commune de la Sarraz est une propriété de LafargeHolcim Ltd (Holcim) . Elle vise à le transformer en ciment. Depuis la 2e partie d’octobre 2020, un groupe de jeunes engagés pour la protection de la nature et du climat occupe le lieu. Ils l’ont déclaré Zone à défendre, ZAD. Holcim a porté plainte contre cette occupation.

L’association « Les Orchidées du Mormont », conduite par un comité comprenant Nicole Ammann, Dominique Bourg et moi-même a été créée le 29 octobre dans le but de donner un cadre légal à la défense juridique de la ZAD. L’Association a fait recours contre la plainte de Holcim. Ce recours a été rejeté par le Tribunal du district de la Côte. La plainte sera exécutable dès le 30 avril. Le rôle de l’Association se termine, mais notre engagement pour la cause de la ZAD perdure afin que le conflit se résolve dans la sagesse et la non-violence.

La police interviendra probablement, et les zadistes seront bousculés plus ou moins durement. On voudra oublier les « troubles » sur la Birette. Zut pour la ZAD, ses fleurs, ses papillons et son idéalisme. Ce serait tragique !

ZAD et zadistes portent avec détermination, intelligence et courage un message vital qui nous concerne tous. Plutôt que de tenter son impossible effacement, nous espérons que la discussion maintenant engagée entre les zadistes et les autorités débouchera sur un vrai débat démocratique à propos de l’avenir de la colline du Mormont et, avec lui, sur une prise de conscience que la vie se meurt sur Terre et que le climat est en folie. C’est bien de cela dont il s’agit. La ZAD nous interpelle tous.

Les zadistes l’on comprit. Ils prennent le drame à sa juste mesure. Depuis 5 mois, ils le vivent intensément dans un lieu symboliquement fort où se confrontent l’appétit destructeur de notre société et la fragilité d’un site chargé d’une exceptionnelle richesse naturelle et historique. La ZAD n’est pas une colonie de vacances. La vie y est dure à cause des conditions matérielles du lieu et de l’intensité d’une exigeante forme de vie en commun. À cela s’ajoutent l’incertitude fondamentale de l’avenir de la ZAD et la forte conscience, partagée par tous les zadistes, de la menace qui pèse sur la vie et le climat.

Anxiété

Une des origines de la ZAD est à trouver dans le mouvement de la Grève du climat que Greta Thunberg a initié en été 2018. Personnellement, je n’ai pris conscience que quelque chose d’important était en train de se passer, lorsque j’ai appris, en décembre de cette même année, que des écoliers et des étudiants valaisans étaient allés en observateurs à la Conférence de Katowice où Greta avait prononcé cette fameuse phrase:

« Vous ne parlez que de continuer avec la même mauvaise idée qui nous a mis dans ce gâchis alors que la seule chose sensée serait de tirer le frein d’alarme. Vous n’êtes même pas assez mûrs pour dire les choses comme elles sont. Même ce fardeau, vous l’abandonnez à nous, les enfants. »

Peu après, j’ai fait connaissance avec ces jeunes. Ils m’ont impressionné. Plus tard, accueillis par l’Université de Lausanne, a eu lieu la semaine de coordination européenne des Grévistes du climat. Ce fut intense et à la clé de nombreuses sessions de travail. Avec un ami psychiatre, j’ai participé à l’atelier « Anxiété ». Je pensais qu’il s’agissait de chercher comment convaincre ceux qui nous entourent de la réalité du drame climatique et de l’urgence d’agir pour y faire face… Ce n’était pas ça.

Ils étaient 14 jeunes venus de 7 pays différents. Age moyen, 17 ans. L’anxiété dont ils parlaient était la leur; celle de porter sur leurs épaules le poids gigantesque d’un problème qui leur est abandonné par ceux qui devraient y faire face. Parmi eux, une jeune fille d’une ville allemande de 25’000 habitants. Elle et ses amis, avaient fait un intense effort pour organiser un défilé destiné à marquer la volonté de lutte de sa ville. À peine deux cent cinquante personnes y participèrent. La jeune fille était consternée. Tant d’efforts pour si peu d’effet ! Dans le groupe, cette anxiété était largement partagée. Il y eut beaucoup d’émotions et de larmes. Mon ami psychiatre parlait de « stress prétraumatique » et de « solastalgie ».

Après la grande effervescence de 2019 sont survenus le COVID et la chape écrasante des quarantaines. Certains ont cherché à en sortir. D’autres ont initié la ZAD du Mormont…

La force de la ZAD, c’est le groupe. Il est ouvert à tous ceux qui veulent s’associer au double but de (1) sauver le plateau de la Birette des appétits de Holcim et (2) d’inventer la nouvelle convivialité qui sera nécessaire pour surmonter la crise dans lequel le monde s’est fourvoyé.

Deux fois par semaine, les zadistes se réunissent en assemblées plénières. L’une est décisionnelle. Il y a beaucoup de choses à régler quand il n’y a ni eau courante ni électricité, qu’il faut défendre le site et maîtriser le COVID (ce qu’ils ont réussi de manière exemplaire.) La seconde, plénière, est émotionnelle. Je ne peux qu’imaginer l’intensité de ce qui s’y passe. On m’a raconté la jolie anecdote suivante. Il y a peu, après des jours de pluie et de boue était venu le grand froid ; au matin il faisait -6° et il était tombé 10 cm de neige. Le groupe était fatigué et démoralisé. On se lève, on se réunit et on décide de faire face. Tous ensemble, ils ont dansé pendant deux heures.

Victor Hugo écrivait (c’est apocryphe, semble-t-il) que les poètes sont les phares qui guident le monde. Aujourd’hui, chez nous, je dirais que la ZAD est ce phare…hélas menacé d’une destruction prochaine. Il serait bien stupide de condamner à l’oubli et à la négation cette extraordinaire expérience. D’autres voies sont présentement explorées.

Comme le dit le philosophe Dominique Bourg – qui lui aussi combat pour la ZAD -, laissons au génie suisse, celui de la non-violence et de la concordance, le temps de se déployer.