L’hypothèse K

Il faut être révolutionnaire. Si vous n’êtes pas convaincu, par le petit billet d’opinion que Mathilde et moi avons publié dans Le Temps (Tribune du 9.4.2024) ne vous arrêtez pas là, il reste des approches plus substantielles sur lesquelles vous pouvez vous pencher. Personnellement, c’est celle d’Aurélien Barrau que je trouve la plus remarquable. Il était le premier conférencier de la série « Envie d’agir » (https://www.unil.ch/dubochet/home/menuinst/envies-dagir/barrau-aurelien.html). Son éloquence est proverbiale et son argumentation redoutable. Son petit bouquin de 2019 est un must (Barrau, A. (2019). Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité. Face à la catastrophe écologique et sociale. Neuilly-sur-Seine: Michel Lafon). Si vous ne le connaissez pas encore, vous apprécierez. Bonne lecture ! 

Le livre dont je parle ici date de l’an passé. 

Barrau, A. (2023). L’hypothèse K. La science face à la catastrophe écologique. Paris: Bernard Grasset.

Aurélien m’en avait soumis une version préliminaire. Je l’ai encore lu bien des fois depuis. Je commence à m’y familiariser. L’ouvrage n’est pas bien lourd (200 petites pages), mais c’est un gros morceau. D’une part, parce que l’auteur prend plein appui – faut-il dire, étale ? – sa vaste culture philosophique et scientifique. En lecture, gardez un bon dictionnaire à portée de main si des termes tels que « affidé, anomal, aporétique, axilogique, etc… » ne vous sont pas trop familiers. De l’autre, parce que le message est vraiment radical. Il est construit selon deux lignes. (i) La science est un cancer mortel (karkinos). (ii) Pour nous sauver, il faut que la science devienne poésie de telle sorte que chaque bout de connaissance soit co-substantiel à une fonction politique et morale. 

Aujourd’hui l’aphorisme de Rabelais « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » a dramatiquement pris tout son sens. La science est devenue formidablement puissante, mais il semble qu’elle ait abandonné toute conscience. L’outil scientifique est maintenant utilisé pour n’importe quoi, sans respect de valeur politique et morale. Il est facile de se référer aux folies d’Elon Musk, mais peu d’entre nous ont pris conscience que la science est le moteur de la course vers l’enfer de notre société néolibérale. Barreau la compare à un cancer. La maladie a pris le contrôle de l’organisme qui la porte et qui la nourrit. Cette maladie, il l’appelle prométhome. C’est joliment dit, sans pourtant que l’idée soit complètement nouvelle à ceux qui ont compris que « l’anthropocène est une nécrocène ». 

Là où Barrau est vraiment révolutionnaire, c’est par la solution qu’il préconise. Il s’adresse à ses collègues scientifiques. Il veut que la science devienne poésie – au sens du terme qu’il discute longuement. En grec poiêsis se réfère à une création. Ainsi, pour Barrau, la science n’est pas seulement une acquisition de connaissance, elle doit être une production active. Pour lui, l’humain n’est pas qu’un être fonctionnel ; sa capacité à comprendre le monde mieux que tout autre être vivant lui donne une capacité d’agir unique; celle-ci implique une responsabilité également unique. La science « poétique » de Barrau est tout simplement celle de la connaissance responsable, celle de la science consciente. 

Ceci est le combat de Barrau. J’aimerais me battre avec lui, pour mon petit-fils, pour mes proches, pour les humains et pour le monde. 

On continue !