Neurobiologie

  1. Fedorenko, E., Piantadosi, S.T. & Gibson, E.A.F. Language is primarily a tool for communication rather than thought. Nature 630, 575–586 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07522-w
  2. Lee, A.T., Chang, E.F., Paredes, M.F. et al. Large-scale neurophysiology and single-cell profiling in human neuroscience. Nature 630, 587–595 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07405-0
  3. Lindhout, F.W., Krienen, F.M., Pollard, K.S. et al. A molecular and cellular perspective on human brain evolution and tempo. Nature 630, 596–608 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07521-x

Dans le numéro de Nature du 20 juin 2024 sont publiés trois gros articles « perspective » concernant le fonctionnement du cerveau.

Le premier pose la question de la fonction du langage ; sert-il à penser où à communiquer ? J’y ai moi-même souvent réfléchi durant mes promenades et j’avais conclu que, sans les mots, je ne savais pas réfléchir. Pas de chance, l’article conclut l’opposé. L’argument principal est fort. Il existe beaucoup de gens dont la faculté de locution est altérée, typiquement en raison de problème dans l’aire de Broca ou de Wernicke, en zone temporale gauche du cerveau. D’autres régions peuvent aussi être concernées. Pourtant, malgré l’aphasie, beaucoup de ses malades sont quand même capables de penser tout à fait correctement. Par exemple, ils résolvent les problèmes de la vie, ils pratiquent les mathématiques et ils sont capables de subtiles réflexions psychologiques ou sociales. 

Fort de cette lecture, j’ai repris mes réflexions à propos de ma façon de penser et j’ai retrouvé une vieille constatation : quand je pense, c’est avec moi-même que je dialogue.  » C’est quoi, ce bidule ? – Bin, c’est l’p’tit gligi qui passe par ici et qui fait tourner le p’tit zinzin – Ah wouais !  » (Selon H. Des). Typique !

Ainsi va la conclusion de cet article : la fonction du langage est de communiquer. Dans le fond, il n’y a pas de quoi en être vexé. Disons quand même que, dans cet article, l’argumentation pour la fonction de communication ne m’a pas semblé avoir la même force que celle contre la fonction cognitive. Peut-être est-ce dû au fait que cette dernière est plus globale et moins bien définie.

C’est justement à cette question que s’adresse le deuxième article : l’intelligence, comment ça marche ? Quatre neurobiologistes fameux, mais de spécialités différentes se mettent ensemble pour répondre à cette question. Ils n’iront pas bien loin, mais ils tracent des buts et des chemins. Ils sont neurochirurgiens, neurologues – c’est-à-dire psychiatre – et neurobiologistes de base. Ils veulent tester des patients en cours d’opération et prélever, jusqu’au niveau cellulaire, des fragments cérébraux relevant pour la fonction étudiée. La physiologie de ces fragments pourrait alors être étudiée en laboratoire. Finalement, le but est de comprendre la cytologie fonctionnelle du cerveau humain dans sa diversité éclairée par son évolution.

Le 3e article revient à la vieille question : comment se fait-il que le cerveau humain soit si différent de celui des autres espèces ? De nouveau, l’approche est multidimensionnelle. Les auteurs font appel à la biologie évolutive, l’anthropologie, la psychologie et la neuropathologie. La démarche est en principe assez simple. Puisque le développement du cerveau est particulièrement lent chez les humains, il faut croire que la régulation temporelle des voies du développement cérébral est parfois ralentie. On parle alors de néoténie. Avec beaucoup de génétique et de physiologie comparée, les auteurs veulent cerner ce qui, finalement, fait que les humains sont intelligents.

Dans ce numéro de Nature, ces trois articles sont placés dans la rubrique « perspective ». Il ne faut donc pas s’attendre à apprendre beaucoup de nouvelles choses. Par contre, des plans et des programmes de recherches ainsi que d’impressionnants espoirs d’application nous sont servis sans retenue. C’est fou, ce que l’on nous promet de comprendre, c’est fou, comme on va tout pouvoir soigner, tout améliorer, tout faire. Moi, j’en ai le tournis. Bien sûr, les auteurs sont très conscients des problèmes éthiques que pourraient poser ces recherches. Ils insistent beaucoup sur le droit et l’autonomie des patients. Par exemple, il n’est pas éthiquement acceptable de prélever un bout de cerveau sans l’accord du patient. La belle affaire !

Par contre, nulle part, pas même par un petit mot, il n’est posé la question de la finalité profonde de ces recherches. On veut comprendre la nature humaine, mais on ne se pose pas la question de ce que nous voulons faire de cette connaissance. 

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Malheureusement, c’est justement cette ruine qui est la perspective de ces 3 articles. À mon avis, la science vue de cette manière n’est pas acceptable. Il faut qu’elle soit tenue en laisse. 

Comment s’y prendre ? Je ne le sais pas, mais j’aimerais tant qu’un solide débat soit instauré avant que cette connaissance ne soit livrée aux égos et aux intérêts financiers.