Peut-être que, comme moi, vous êtes intéressés par la sénilité; à notre âge, elle frappe durement. Depuis quelques années, on commence à y comprendre quelque chose, suscitant l’espoir qu’un traitement puisse âtre développé dans pas très longtemps.
Le sujet est assez difficile. J’aimerais être un habile écrivain pour le bien exposer. C’est mal parti, mais je vais me donner de la peine. Merci lecteur d’y consacrer un moment d’attention bienveillante.
Sitôt connue notre découverte de la vitrification au début des années 2080, Nigel Unwin et Richard Henderson envoyèrent leur ingénieur afin d’apprendre la méthode. Le Molecular Biology Laboratory (MRC) de Cambridge est depuis lors un haut lieu de la cryomicroscopie électronique. Richard partagea avec moi le prix Nobel de chimie en 2017. Lors de mon discours à Stockholm, je me demandais si la méthode avait déjà obtenu un résultat important. Je signalais les récentes découvertes du groupe de Cambridge concernant les fibres amyloïde et je citais les travaux de Scheres et Goedert.
Fitzpatrick, A. W. P., Falcon, B., He, S., Murzin, A. G., Murshudov, G., Garringer, H. J., . . . Scheres, S. H. W. (2017). Cryo-EM structures of tau filaments from Alzheimer’s disease. Nature, 547(7662), 185-190. doi:10.1038/nature23002
Leurs travaux se poursuivent. J’attends pour eux un prochain prix Nobel. J’attends aussi un article de synthèse pas trop dur à lire (les originaux le sont). Ceci n’en est pas un, mais je vous dis quand même de quoi il s’agit.
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Une maladie infectieuse ! Le petit biologiste qui est en chacun d’entre nous pense à un virus ou un microbe, mais pas à un prion. Là, il s’agit d’une protéine, ou d’un fragment de celle-ci, qui a la très étrange propriété d’être autoréplicative. Pour comprendre ce que le mot signifie, imaginez une soupe de fragments protéiques de séquence identiques, mais repliés chacun à sa façon. L’un d’entre eux est le prion pathogène. Lui seul est capable de se coller à un autre de ces fragments de manière à le mouler à son image. Ainsi sont produits deux prions identiques attachés. L’affaire ne s’arrête pas là, un 3e fragment se colle, puis un autre, etc. Petit à petit se forme la fibre amyloïde pathologique caractéristique de la maladie. Le phénomène a été découvert lors de l’épidémie de la vache folle. https://fr.wikipedia.org/wiki/Prion_(protéine). Elle a valu le prix Nobel à Stanley Prusiner en 1997.
Les travaux de Scheres et Goedert, (Shi, Y., Zhang, W., Yang, Y., & et al. (2021). Structure-based classification of tauopathies. Nature, 598, 359–363. doi:https://doi.org/10.1038/s41586-021-03911-7), ont montré qu’un fragment de la protéine tau est aussi un prion. Il est à l’origine de toute une panoplie de maladies neurodégénératives. Dans son état fonctionnel, la protéine tau stabilise les microtubules qui sont les rails du transport cellulaire. Sous sa forme pathologique, elle constitue, dans le cerveau, les filaments qui sont probablement la cause de la maladie d’Alzheimer, de l’encéphalopathie traumatique chronique, de la sénilité fronto-temporal, etc. En tout, on en compte près d’une vingtaine dont l’appellation générique est taupathie.
La fig. 3 de l’article mentionné résume la relation structurale entre ces différents prions.
À droite, l’abréviation de la taupathies selon la dénomination de l’article (AD=maladie d’Alzheimer). Au milieu, en couleur, leurs structures schématiques. Ce sont de courts fragments de protéines tau identifiés par leur couleur. Ils se superposent de manière à former les fibres que l’on observe dans les cerveaux malades. En principe, l’identification de la structure de ces agrégats par cryomicroscopie permet un diagnostic moléculaire précis de la maladie. On peut rêver, mais ce n’est pas irraisonnable, qu’il soit possible de trouver une drogue qui empêchera spécifiquement la formation des fibres ou, mieux encore, qui induira leur démolition sans casser autre chose.
On en est à peu près là. La recherche progresse rapidement. Mon collègue Henning Stahlberg et le Dubochet Center of Imaging (DCI) en sont des acteurs de pointe. Henning a aussi écrit un court article de synthèse que j’envoie volontiers à qui en fera la demande. Stahlberg, H., & Riek, R. (2021). Structural strains of misfolded tau protein define different diseases. Nature, 598, 264 – 265. doi: https://doi.org/10.1038/d41586-021-02611-6