La pandémie de grippe aviaire de 2003-2004 avait de bonnes raisons d’inquiéter le monde. Son agent, le virus influenza H5N1, est de la même famille que celui de la grippe espagnole de 1918. Il est systématiquement létal chez les volailles. Heureusement, il ne se transmet que rarement à l’homme. Il causa toutefois la mort de plus de la moitié des quelque 600 personnes infectées. On n’ose pas imaginer ce qui se serait passé si la transmission à l’homme avait été aussi efficace que pour la grippe annuelle « classique ».
En automne 2011, deux groupes de virologistes remarquèrent qu’il leur a été relativement facile de transformer H5N1 de telle sorte qu’il devienne transmissible chez le furet – un animal généralement considéré comme un bon « proxi » de l’homme.
Aussitôt connus, ces travaux provoquèrent un intense débat et soulevèrent de graves questions. Est-il souhaitable de publier des résultats qui pourraient conduire à la production d’un virus hautement contagieux? Est-il légitime d’entreprendre de telles recherches ? Ne doit-on pas craindre une dissémination accidentelle ou de susciter l’intérêt de quelques bioterroristes? Finalement, la publication fut autorisée (1, 2), non pas tellement parce que le débat avait atteint une conclusion, mais parce que, l’information étant déjà largement diffusée, la poursuite du blocage ne servait à rien. Il fut décidé toutefois qu’un moratoire volontaire serait appliqué aux recherches visant à renforcer les traits marquants de virus devenu contagieux (gain-of-function – GOF – research). Hélas, contrairement au fameux moratoire d’Assilomar de 1975, le moratoire GOF semble avoir été un flop qui a surtout servi à offrir une plate forme médiatique aux spécialistes désireux de poursuivre leurs recherches. Après quelques mois, ceux-ci décidèrent la fin du moratoire (3). La recherche GOF continue. It’s business as usual.
Eh oui ! Nous sommes tous comme cela, le nez dans le guidon de nos petites affaires. Les chercheurs scientifiques actifs le sont peut-être encore plus que les autres, parce que leur compétence est réelle et démontrable dans leur domaine. Malheureusement, leur domaine est souvent plus étroit qu’ils ne l’imaginent; en tout cas trop étroit pour les laisser seuls à la conduite de recherches dont les conséquences sociopolitiques sont d’une tout autre ampleur.
Le moratoire GOF est passé, la recherche continue, et ensuite ?
Chacun peut s’aventurer à une prévision.
La mienne va dans le même sens que celle proposée par S. Wain-Hobson dans un éditorial de Nature (4) ; la victoire des spécialistes est une victoire à la Pyrrhus qui aura de vastes conséquences. Je crois qu’il est peu probable qu’un accident de laboratoire ou un acte de bioterrorisme vienne prochainement dramatiser la situation. Par contre, il parait certain que les organes politiques seront d’autant plus interventionnistes que les scientifiques donneront l’impression de ne pas se contrôler eux-mêmes. Le travail des chercheurs en deviendra sans doute plus compliqué. Un effet plus frappant pourrait se réaliser à travers l’action de mouvement populaire et d’ONG appelant au rejet de certaines recherches. L’abandon de la recherche publique sur les plantes modifiées génétiquement en Suisse est un fâcheux précédent qu’il ne faudrait pas reproduire. Comment faire alors pour que la légitime demande d’un meilleur contrôle politique n’induise pas la remise en cause de la démarche scientifique et de la raison basée sur la connaissance ?
1) Herfst, S., E. J. A. Schrauwen, et al. (2012). « Aerosol transmission of avian influenza A/H5N1 virus. » Science 336: 1534 – 1541
2) Imai, M., T. Watanabe, et al. (2012). « Experimental adaptation of an influenuza H5HA confers respiratory droplet stransmission to a reassortant H5HA/H1N1 virus in ferrets. » Nature 486: 420 – 428.
3) Fouchier, R. A. M., A. Garcia-Sastre, et al. (2013). « H5N1 virus: Transmission studies resume for avian flu. » Nature 493: 609.
4) Wain-Hobson, S. (2013). « H5N1 viral-engineering dangers will not go away. » Nature 495: 411.