Quelques points saillants dans la lecture de mes journaux scientifiques en août 2015.
(Nous gardons un oeil sur la cryo-ME:
Nature, 6.8.15, 109 – 113. Mattila et al. A hemi-fission intermediate links two mechanistically distinct stages of membrane fission.
Nature 13.8.15, 186 – 191. Li et al. Pékin, HongKong, Cornell. Structure of the eukaryotic MCM complex at 3.8Å
Nature 27.8.15, 493 – 6, Brown et al., MRC Cambridge, Structural basis for stop codon recognition in eukaryotes )
31.7.2015. Science 349.
– 464. ALZHEIMER. Un médicament contre Alzheimer? Les essais n’ont pas manqués jusqu’ici mais toujours avec le triste résultat: pas ou peu d’effets. Alors maintenant que deux firmes Lilly et Biogen annoncent des résultats positifs, c’est la grande agitation. Il s’agit des anticorps « solanezumab » et « aducanumab »- quels noms! – qui s’attachent à l’amyloïde b, l’empêchant ainsi de former les aggregats caractéristiques de la maladie. C’est du moins ce qui est visé mais les résultats sont modestes. Vu le potentiel d’un tel médicamment, ils sont quand-même suffisants pour motiver des testes de grande envergure. Peut-être que le résultat le plus intéressant acquit jusqu’ici est que, des deux candidats que l’on veut voir au coeur de la maladie, tau et amyloïde-b, c’est ce dernier qui semble s’offrir en cible thérapeutique. Le dernier mot n’est pas dit et, pour le moment, la meilleure prévention reste la vie saine et la tête active.
01.08.15. Scientific American.
– 54.CLIMAT, POLITIQUE. D. Baum. Changement d’état, la Californie et sa sècheresse. D’abord relativiser. En 1130 la Californie a subi 40 ans de sècheresse; la dendrochronologie le prouve. Il n’empêche que pour l’État moderne que l’on connait, la sècheresse actuelle est du jamais vu. Les études et modélisations climatiques suggèrent très fortement qu’il s’agit d’une conséquence de l’échauffement climatique. Depuis 1980 les situations climatiques extrêmes (humide ou sèches) augmentent en fréquence, mais depuis 2000 la tendance à la sècheresse domine. La sècheresse de ces 3 dernières années est sans précédent dans les 7 régions de l’État. Tout le système de distribution d’eau est en voie de collapse. La moitié de l’eau part à la mer avec les rivières, généralement fortement canalisées pour éviter les inondations par les crues. L’autre moitié va pour 20% à la consommation des villes et des privés. Les autres 80% vont à l’agriculture. Le déficit de ces dernières années est comblé par pompage des nappes phréatiques qui ne tiendront pas longtemps.
L’échauffement climatique commence à frapper. En Arctique, dans la plaine du Gange ou au Sahel, inchallah! Qu’y peut-on? Heureusement, ce n’est pas chez nous pensent confortablement la plus part d’entre nous. Mais voilà, la Californie, paradigme de l’opulence dynamique, se trouve maintenant sur le front le plus chaud de la crise climatique. Quelque part, il en est très bien ainsi; l’État le plus riche se retrouve dans la tourmente avec ceux du tiers monde ou les nations émergentes à la peine.
Il n’a pas l’intention de se laisser faire. Les plans pour exploiter cette moitié d’eau non encore directement utilisée sont lancés. Surtout, il va falloir règlementer la distribution et l’usage de ce qui est disponible. Ce sera un changement fondamental de l’organisation libérale, une révolution pour l’agriculture et un défi considérable pour la 7e économie mondiale. À suivre avec espoir et inquiétude. L’avenir des sociétés humaines sera très sombre si la 7e économie mondiale n’arrive pas à relever le défi, s’ils en restent à la fameuse loi de l’hydraulique néolibérale « l’eau coule là où va l’argent », si le chaos s’installe dans la distribution et si les Californiens modestes doivent émigrer en masse. Pourtant, je suis un peu optimiste. Apparemment dès cet été, la gestion chaotique commence à être sérieusement reprise en main et le 1er plan global de restriction semble avoir été dépassé; effet collatéral, la population prend conscience de la situation.
06.8.15. Nature 524
– 5, 10, 13 – 14, 22 – 31. EBOLA, VACCIN, ÉPIDÉMIE. Patrick, Arjun. Ebola, fin ou début de partie? Après tant de mauvaises nouvelles, en voici une bonne. Le vaccin développé par l’agence de santé publique du Canada, testé en partie au CME de Genève et produit sous licence par Merck semble protéger à 100%. Le test: 2000 personnes ayant été à risque de contamination ont immédiatement reçu le vaccin. Aucune n’a développé la maladie après les 10 jours pendant lesquels la maladie contactée précédemment pouvait se développer. Les personnes du 2e groupe fort de 2400 personnes ont été vaccinées 3 semaines après exposition. 16 ont développé la maladie. Le résultat est MAGNIFIQUE. Reste à confirmer le résultat et découvrir si le vaccin couvre tous les variants du virus et aussi à déterminer son temps de validité. La rapidité avec laquelle les tests ont été conduits sur place dans des conditions extrêmement difficiles est admirable. Voir Science du 7.8, 571. Il s’agit maintenant de mettre fin à l’épidémie, mais, si l’efficacité du vaccin se confirme, la tâche sera beaucoup moins difficile. La stratégie est classique et bien rodée avec la polio: il s’agit d’identifier rapidement chaque cas et couvrir par le vaccin toutes les personnes qu’il aurait pu contaminer.
– 93 – 101. Autre développement favorable. Deux articles par de gros consortiums étudient l’évolution du virus depuis le premier cas, un enfant mordu par une chauvesouris en décembre 2013, jusqu’aux 11’134 morts de janvier 2015. Ces données qui avaient été bloquées pour des raisons commerciales pendant le gros de l’épidémie sont essentielles pour comprendre le déroulement de l’épidémie et en maitriser la suite de l’épidémie grâce aux vaccins et aux médicaments.
Joannes Liu, président de MSF, insiste sur le fait que l’épidémie n’est pas terminée; elle continue et peut repartir n’importe quand. Il rappelle que l’organisation sanitaire des pays touchés n’est pratiquement plus fonctionnelle; les malades ne reçoivent plus les soins de base. Rien que pour la malaria, il estime que 10’000 morts supplémentaires sont dus à ce manque de possibilité d’intervention. Et puis surtout, il faut se préparer pour la prochaine épidémie. Quelle sera-t-elle? Un autre article par D. Buttler, étudie cette problématique. Les scénario catastrophes ne manquent pas. « Le pire auquel on peut penser est une grippe comparable à celle de 1919. Plus haut dans la liste il y a la menace à laquelle on ne pense pas et tout en haut, celle que l’on n’imagine pas! ». Va-t-on faire un vrai effort pour s’y préparer? Je ne suis pas optimiste, mais nous allons suivre le dossier.
– 11. CLIMAT, POLITIQUE. News. Prémices à la conférence de Paris, les USA annoncent leur plan pour 2030: 32% de réduction des GES par rapport à 2005. C’est un peu mieux que le plan de juin 2014 (30%). Pour plus d’info: http://climateactiontracker.org/countries/eu.html
– 16. BIOTECHNOLOGIE, CRISPR, GÊNE DRIVE, ÉTHIQUE. Avec CRISPR, la biotechnologie devient vraiment concrète. Que faire avec cette nouvelle possibilité, pour le bien ou pour le pire? Le présent article qui appelle à la prudence n’est qu’une page dans un débat essentiel. Les craintes sont de diverse nature, typiquement: crainte de dérapages sociaux et culturels (manipulation d’embryons); crainte d’accidents ou d’actions malveillantes (bioterrorisme); crainte de tempête politique sur la tranquille progression de la science (les négationnistes de la science vont encore frapper). La vague d’il y a quelques mois appelait à un nouvel Asilomar (une conférence et, en attendant, une forme de moratoire). J’en entends moins parler ces dernières semaines. Par contre, la voix se renforce chez ceux qui s’enthousiasment pour les nouvelles possibilités – pour la science, pour le bien public, pour le bien de l’économie. Exemple majeur, la prise de position de Pinker dans le Boston Globe « The moral imperative for bioethics » (article à disposition). Pour lui, il est simple: « Get out of the way ». J’aime beaucoup Pinker, mais là, il dérape. L’argument va comme cela. Regardez autour de vous et pensez à toutes ces personnes qui souffrent de maux terribles, à qui on aimerait tellement pouvoir venir en aide. Pensez au fardeau porté ainsi par l’humanité et pensez que c’est par la connaissance « science based » que l’on peut espérer l’aléger. Jusque là, je suis presque d’accord, mais il continue, « Ne pinaillons pas. L’éthique, qu’elle s’engage pour le progrès, si c’est pour mettre les bâtons dans les roues, alors « Get out of the way! »
Pinker me déçoit. Simpliste! Oui, mais ce qualificatif n’est pas une réponse suffisante. Essayons mieux. On pourrait demander, par exemple, pourquoi les efforts colossaux de la science ne sont pas tellement efficaces quand il s’agit de la santé du plus grand nombre ou la faim dans le monde. Ou encore, alors que la solution de la main invisible a tellement contribué au développement économique, pourquoi alors l’analyse de Piketty est-elle si relevante? La solution « plus de science » fera-t-elle mieux? Surement pas, sauf si « plus d’humanité » est placé devant « plus de connaissances ». Science sans conscience n’est que ruine de l’âme (Rabelais), ce n’est guère neuf, il est bien décevant que Pinker ne l’ait pas vu.
7.8.15, Science 349.
– 567 – 8. ÉTHIQUE, GOLDEN RICE. Get out of the way! … complément à la rubrique précédente. Dans les pays ou l’alimentation n’est pas assez diversifiée, la carence en vitamine A cause la cécité d’un demi-millon de personne, en premier lieu en Chine. Le groupe de I. Potrykus à l’EPFZ lutte depuis plus de 20 ans pour mettre au point et rendre disponible à tous un riz OGM qui compenserait cette carence. Le parcours du combattant mené par le groupe de Zürich pour, obtenir un enrichissement suffisant en vitamine A, progresser dans la jungle des brevets, surmonter l’inertie et convaincre les opposants est édifiant. Une étude longitudinale chinoise datant de 2008 montrait les effets bénéfiques du Golden rice sur 68 enfants. Après encore une autre longue lutte, l’article de 2012 rapportant le résultat favorable a été rétracté par décision judiciaire. C’est Greenpeace qui s’est opposée argüant que les enfants avaient été utilisés sans autorisation formellement correctes. Pinker a-t-il quand même raison?
– 584 – 6. ENVIRONNEMENT, POLITIQUE, EAU. Le premier d’une série d’articles sur la gestion de l’eau dans le monde. Sécurité de l’eau: grise ou verte. D’un côté il y a les barrages et les grands canaux d’irrigation, de l’autre l’agriculture durable et la préservation locale. Après tant d’années de politique grise, c’est vers le vert qu’il faut mettre l’effort. Plus facile à dire qu’à fairee Les deux articles sont équilibrés, même s’ils sont de points de vue opposés.
– 601. ALZHEIMER, PARKINSON. Ce court article résume des résultats récents: comme le mortel kuru que des indigènes de Bornéo se transmettent en mangeant le cerveau de familiers, il semble maintenant démontrer qu’alzheimer et parkinson sont aussi des maladies à prions, c’est à dire qu’elles sont autoinfectieuses. Un évènement stochastique rare induit la transformation d’une protéine ou d’un fragment sain (amyloïde ou tau dans alzheimer, a -synuclein dans parkinson) en un noyau pathologique. Ce noyau catalyse lui-même la suite du développement de la réaction qui conduit à l’agrégation des fragments transformés en fibres caractéristiques de ces maladies. Il sera très important de comprendre comment l’infection se transmet d’une cellule à l’autre – si je ne m’abuse, Henning y travaille. Il sera aussi important d’explorer l’éventuelle transmission d’un individu à l’autre.
13.8.15. Nature 524.
– 133, 144 – 5, 150 – 3. SCIENCE POLITIQUE. Lucy. Vers une politique, une économie et une action sociale qui se base sur les faits. Est-ce que la politique basée sur des modèles va enfin être secouée par l’analyse factuelle? Ainsi, il est bien connu que l’économie suit stupidement l’infondé crédo néolibéral et une moitié des membres du Conseil Communal de Morges s’affirment à droite sans voir où est le vrai intérêt public comme aussi le leur (il est là: https://www.dubochet.ch/jacques/?s=bien+faire). L’idée est de changer cela, non pas en recherchant de nouvelles théories, mais en apprenant modestement de l’observation des faits et de la nature. Pour moi, ceci est d’ailleurs plus qu’une définition, c’est une philosophie de vie: scientifique est celui pour qui la nature est l’unique source de connaissance.
Quelques marques de cette transformation sont présentées ici. Il s’agit du Millennium Villages Projects (144 – 145), un programme d’aide au développement à grand spectacle dont le manque de succès évident attire enfin la critique. Un article de The Lancet (go.nature.com/3eidfr) fait le point. Les résultats escomptés ne sont pas atteints, ni d’ailleurs plusieurs de ceux qui sont bruyamment annoncés comme étant des succès. Après plus de 10 ans, il faut évaluer objectivement les buts du projet à la lumière des résultats obtenus. Il faut aussi chercher empiriquement comment faire mieux. Pour cela, il faut essayer des méthodes d’intervention, tester continument leurs effets et ajuster le but et la méthode. Le deuxième article (150 – 3) décrit la « revolt of the randomistas », cette nouvelle génération de spécialistes du développement qui essayent de transformer globalement la façon de procéder grâce aux contrôles aléatoires à l’exemple d’Esther Duflo (MIT) qui mesure parmi différentes formes d’interventions (action dans les médias, cadeau d’un kilo de sucre, etc) laquelle conduit au plus grand nombre de personnes vaccinées.
– 141. GLACIER, CLIMAT. Manu, Gilles, Lucy. Zemp et al. J. Glaciol. 61. 745 (2015). Le retrait des glaciers n’a jamais été aussi rapide.
Et pour faire le point:
Voir l’article Vélâge concernant les cassures catastrophiques des glaciers de l’Arctique ainsi que l’observation du recul de nos glaciers du val d’Hérens.
https://www.dubochet.ch/jacques/?s=Vélâge
Voit aussi la récente analyse du phénomène de vélâge dans Science du 17.7.2015.
Surtout, voir les dernières nouvelles de nos glaciers du val d’Hérens.
8.8.2015: Glacier du Mont Miné. On note les deux grosses cascades au centre Quant au glacier de Ferpècle: situation en 2006
Ferpècle 2015:, à mi-aout s’est produit un effondrement extraordinaire. M. Jean-Michel Junod qui effectue des relevés photographiques de la région avec son drone m’a communiqué ces photos. Je l’en remercie.
15.8.2015: Le trou du siècle. Photos Gérard Stampfli.
Le même trou vu par le drone de Jean-Michel Junod le 19.9.2015
– 204 – 7. GRAPHENE, KIRIGANI. Clément. On connait la richesse des ori(plier)gami(papier). Récemment, nous avons vu passer plusieurs papiers étendant le concept à la microtechnique. Voici les couches monoatomiques de graphène montées en 3-D par kiri(couper)gami. Pour ce faire, on découpe, par les méthodes des circuits électroniques, une feuille de graphène à laquelle on ajoute deux plaquettes d’or servant de poignées sur lesquelles peut agir la pression d’un faisceau laser. L’article présente de nombreux exemples comme le transistor extensible (fig. la barre d’échelle est de 10µm) ou la pyramide déformable. Revenant à Feynman et son « There is plenty of space down », on imagine un peu ce que la microtechnique pourrait en faire si elle peut produire des kirigami en masse. Peut-être faudra-t-il trouver le moyen de les faire, eux aussi, par autocatalyse.
14.8.15 Science 349.
– 679. ETHNOLOGIE. Que faire avec les populations vraiment primitives? Pia. Au Pérou, la tribu Mashco Piro est une des rares populations humaines qui n’avait pas eu de contact avec la « civilisation ». Voilà que la situation change. Malgré la distance qui devrait les protéger, il arrive depuis peu que des familles de la tribu se laissent voir au bord des cours d’eau sans signes de rejets agressifs. Bien qu’interdits d’approche, prospecteurs, missionnaires et même organisations touristiques sont à l’affut et l’État n’est pas en mesure les en empêcher complètement. Le problème est que le contact aura pour conséquence quasi certaine de décimer la tribu par des maladies contre lesquelles ils ne sont pas protégés – le rhume en particulier. Que faire alors? Le contact n’est sans doute pas évitable, mais sa conséquence risque d’être néfaste à moins qu’il ne soit associé avec une solide couverture médicale. Comment apporter cette protection quand on ne sait pas communiquer? Le gouvernement et des ethnologues de plusieurs universités US cherchent la solution. Pour le moment le consensus n’est pas trouvé. Le temps presse pourtant.
– 688 – 9, 734 – 8. LANGAGE, DÉVELOPPEMENT. Anne-Claude, Laurence. Takahashi et al. Développement de la production vocale chez le marmouset. Le développement vocal humain qui transforme les sons indifférenciés du bébé en mots du langage se fait selon deux lignes parallèles. (i) changement des sons avec la maturation de l’appareil vocal. (ii) Feedback parental rendant l’enfant sensible à certains tons qu’il adapte en conséquence. Les linguistes aiment à penser que le langage est le propre de l’homme, ce que semble corroborer le fait que nos plus proches voisins, les grands singes, ont une expression vocale pauvre et qui ne semble guère être apprise. (Ça se discute et les données récentes montrent une réalité plus complexe.) Chomsky postule que « l’organe du langage » est apparu avec l’homme. Pourtant, de nombreux animaux ont des formes d’expression vocales richement développées et plus ou moins apprises; exemple: les oiseaux et le fameux merle du chalet qui chante comme une grive draine; c’est un effet du changement climatique m’a dit Jacques Hausser; le merle monte en altitude et apprend de nouveaux voisins.
L’étude du présent article porte sur le développement de l’expression vocale chez le jeune marmouset, encore une affaire de big data. Les auteurs enregistrent pendant des mois tous les sons émis par les jeunes ainsi que ceux de la mère. Ils mesurent aussi la physiologie de l’émission des sons. Au départ les sons sont riches et indifférenciés. Ils deviennent plus spécifiques avec le développement physiologique du système vocal. Par-delà cette spécification, le feedback parental focalise l’expression vocale sur quelques sons contextuels. Le langage des marmousets n’est pas bien riche et il lui manque certainement la combinatoire hiérarchique du langage humain, pourtant le présent travail démontre que l’outil développemental capable de spécifier (i) la physiologie des sons et (ii) la focalisation par feedback contextuel est une vieille acquisition de l’évolution biologique. Le pas vers le langage humain n’est peut-être pas si gigantesque.
20.8.2015 Nature 524.
-269. MÉDECINE, REPRODUCTIBILITÉ. Jacques Di., Depuis 2000, les USA exigent que tous les protocoles de recherches cliniques ainsi que le plan de traitement des données soient enregistrés avant que ne commence l’étude. PLos ONE 10, e0132382 (2015) analyse l’effet de cette exigence. De 55 grands tests pour des traitements cardiaques, 57% annonçaient des résultats positifs avant 2000. Après 2000 le succès tombe à 8%. Mes conclusions: (i) on peut deviner que 6/7 des essais étaient trompeurs avant 2000; (ii) des moyens simples peuvent avoir un effet considérable sur le sérieux de la recherche. On dit que la force de la science réside dans sa capacité d’auto contrôle. Peut-on être optimiste?
21.8.2015 Science 349.
– 792 – 3. ARMES BIOLOGIQUES, RISQUES. Alain K., César, Manu, Marc. Boddie et al. Évaluer la menace des armes biologiques. Difficile! D’abord, on ne sait pas de quoi on parle. L’éditeur du Bulletin of the Atomic Scientists (https://www.dubochet.ch/jacques/?cat=89) classait les risques d’armes biologiques ou de bioterreur par ordre d’importance: (3) les vecteurs répertoriés (anthrax); (2) les vecteurs inconnus; (1) les vecteurs non imaginés. Ensuite, dans l’histoire, quand on a crû savoir, on avait tout faux: du temps de l’URSS l’occident n’a rien vu des 10’000 chercheurs du programme d’armes biologiques; du temps de Sadam, l’occident est intervenu pour mettre fin au programme irakien qui n’existait pas.
Que faire alors? La présente étude offre sa solution: faute de données, on prend pour fait l’opinion de ceux qui devraient savoir. Mais attention, on ne la prend pas bêtement, on l’objectivise par la méthode Delphi. Elle fonctionne ainsi: (1) on commence par choisir un large panel d’ « experts » tout azimute (63); (2) en privé, chaque expert donne son évaluation et l’argumente; (3) chaque expert prend connaissance de l’évaluation des autres; (3) retour à (2) et continuation du cycle jusqu’à ce que toutes les opinions soient stabilisées. Après quoi, on fait de la statistique. Ainsi, on apprend, par exemple, que les biologistes sont moins enclins à craindre une grave attaque que les autres participants (z = 2.9, P = 0.0035), ou que les vieux sont plus craintifs que les jeunes ( z=-2.1, P = 0.035). Le résultat global est dans la figure. La moyenne donne que la probabilité d’une attaque à grande échelle dans les 10 prochaines années est de 57%. Que peut-on en conclure? Que pour savoir si nous devons nous inquiéter des armes biologiques, l’opinion des experts ne nous éclaire en rien; la statistique le prouve. Sans statistique, sans experts et sans boule de cristal, moi, je m’inquiète.
– 877 – 81. STRUCTURE, FONCTION, BIOLOGIE MOLÉCULAIRE. Les biologistes. Philips et al, (Evanston, Il, USA). Contrôle allostérique de la transcription. La transcription est contrôlée par l’accès de la RNA polymérase au promoteur, séquence de l’ADN où commence la lecture d’un gène. Le plus souvent, ce contrôle se fait par l’interaction entre différentes protéines appelées activateurs et facteurs de transcription. Ici est présenté un nouveau processus, particulièrement élégant. Il a pu être élucidé grâce au fait que la structure de la protéine avec son ADN spécifique a pu être déterminée – par diffraction des rayons X – dans les deux états conformationnels du système.
La protéine CueR de E. coli s’attache spécifiquement au promoteur d’un gène, empêchant la RNA polymérase de s’attacher. Elle agit donc comme répresseur (en rouge, de côté et de dessus). Arrivent deux atomes d’Ag (sans doute libérés sous contrôle d’une protéine régulatrice). Ils s’insèrent aux coudes de CueR, induisant ainsi un réarrangement majeur (vert). Ce faisant, la protéine plie de 36° l’ADN auquel elle est attachée. Ceci à pour conséquence que l’ADN devient le site d’attachement préférentiel de la RNApol. Ainsi, le changement conformationnel de CueR transforme un répresseur en un activateur. Du jamais vu jusqu’ici.
27.8.15, Nature 524.
– 398 – 9. BIOHACKER, DIY, CRISPR. Do-it-yourself biology, DIY, est le mouvement des hackeurs de la biologie. Pourquoi laisser les nouvelles possibilités de la biologie aux seules mains des professionnels industriels ou académiques? Comme pour l’informatique, libérons le savoir, disent-ils. Ils le font et ça marche. Comme il se doit, le mouvement est parti de Californie, mais il fleurit en Suisse, à Lausanne même – Renens plus exactement. Le présent article discute les nouvelles perspectives apportées au DIY par la technologie CRISPR. La conclusion lourdement répétée est simpliste: « il ne faut pas surestimer ce que peuvent faire les adeptes du DIY »; « la plupart des groupes évitent les cellules humaines ou les organismes pathogènes »; l’explosion écologique par « gene drive » « est sans doute hors des possibilités de la plupart des hackeurs »; « juste bloquer un gène dans une plante est un challenge bien suffisant pour un biohackeur ». Tu parles! C’est l’aveuglement de celui qui ne veut pas voir. Hors cadre, hors contrôle et sans retenue le DIY va nous en faire voir de toutes les couleurs et pas seulement par quelques fleurs aux pétales plus lumineux que nature. L’imagination me manque, mais j’ai connu un vieux collègue qui mettait toute son énergie à rechercher un facteur pour arrêter le vieillissement. Trop dur, il est mort avant. CRISPR et DIY offriront-ils à tout un chacun le moyen de s’y essayer? Les candidats ne manqueront pas, et pas seulement pour cela. Que font les chercheurs? Que font les organes de régulation de la recherche? Que font les juristes? Que font les politiciens? Une seule réponse: rien ou presque rien. Mais aussi, que peuvent-ils faire? On en parlait avec Gilles et Lucy en descendant du Moléson. Réponse: rien ou pas grand-chose. Est-ce suffisant? Il faudra y revenir.
– 402 -404. CLIMAT. Cynthia, Christine. Comment les villes peuvent-elles vaincre la chaleur? La vague de chaleur de 2003 a tué 70’000 personnes en Europe, surtout en ville où la température est souvent un ou deux degrés plus élevés qu’ailleurs. Il est vrai que les toits noirs habituels sont ridicules; en plein soleil, ils peuvent être 40° plus chaud qu’un toit végétalisé. Selon les prévisions, la chaleur historique de 2003 pourrait devenir commune en 2050. 2015 nous y prépare. Les villes aussi tentent de s’y préparer. Pour cette raison, Los Angeles et Paris, ont approuvé des règlements appelants aux toits végétalisés. Lausanne et bien d’autres villes également. Seulement, la végétalisation des toits est une affaire compliquée et couteuse, en eau particulièrement. Il y a une solution plus simple et moins chère: blanchir toits et avenues. Par ce moyen simple, il devrait être possible d’inverser la tendance: la ville serait fraiche par rapport à la campagne.
Pas si facile! Les modalisateurs prédisent alors que, sans la montée de l’air surchauffé au-dessus de la ville, celle-ci restera bloquée dans son bouchon de plus en plus pollué. Semblablement, cette colonne humide ascendante est aussi la cause de la pluie, plus abondante en villes qu’ailleurs. On y perdra en douches rafraichissantes et en lavage de l’air pollué. La geoingénieurie est une science difficile!
28.8.15 Science 349
– 910, 943. PSYCHOLOGIE, ÉTHIQUE. Irreproductibilité en psychologie. http://dx.doi.org/10.1126/science.aac4716.
Cent études de psychologie ont été reproduites par la Open Science Collaboration. Moins de la moitié des résultats sont globalement reproductibles. De ceux qui le sont, l’effet rapporté est en moyenne deux fois plus grand que lors de la réplication. La figure donne l’essentiel des résultats. En abscisse, l’ampleur de l’effet observé dans l’expérience originale. En ordonnées, la même mesure dans l’expérience de contrôle. La bonne science voudrait que tous les résultats s’alignent le long de la droite oblique continue. Le biais apparait dans le fait que la majorité des points sont situés bien en dessous de cette ligne. La ligne pointillée horizontale situe l’absence d’effet lors du contrôle. Les points rouges signifient que le contrôle ne confirme pas le résultat original. En gros, ils représentent 2/3 des cas. À titre d’exemple, une des expériences testées consistait à identifier l’image d’une arme alors qu’est présenté simultanément une personne de différente race. Le temps de réaction devrait indiquer la propension raciste. Non reproductible! L’auteur de l’article original défend son résultat.
Et alors? 2/3 de résultats non reproductibles en psychologie, autant ou pire en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux. Pas de doute, il faut faire le ménage. Pour cela, deux mesures: (i) Vérifier la reproductibilité lorsque cela est possible (voir le présent article). (ii) Dans le cas contraire (par exemple, pour les grandes études statistiques médicales), assurer la rigueur du dispositif expérimental. Cela aussi est efficace comme le prouvent les mesures US (cf. ci-dessus, Nature 24.8) exigeant l’annonce préalable des procédures expérimentales.
– 919 – 922. SOCIOLOGIE, RELIGION. Lizzie Wade. La naissance des dieux moralisateurs. Étrange article où l’on semble découvrir l’idée selon laquelle les religions modernes sont le dispositif unificateur qui a permis la sortie du tribalisme dominé par les liens familiaux et la connaissance personnelle des membres du groupe et d’accéder aux sociétés agricoles capables de défendre un territoire et d’entreprendre des travaux de grande envergure. Affaire bien connue et développée de manière convaincante par D. S. Wilson (Darwin’s cathedral. 2003: The University of Chicago Press.), par Johannes Bronkhorst et sur mon blog, entre autres. Il faut aller à l’insert en fin d’article pour comprendre que les travaux de Norenzayan dont il est ici question vont plus loin. Il est vrai que toute l’argumentation soutenant la thèse selon laquelle la religion morale est une condition préalable au développement des sociétés modernes est plutôt de nature illustrative ou anecdotique. Morenzayan veut lui donner un fondement solide et systématique avec la Database of Religious History (DRH). Sa constatation de base est que les gens des religions, qu’ils soient pratiquants ou universitaires, disposent d’un bagage de connaissance immense. Toutefois, l’idée que tous ces savoirs ne sont que les branches d’un même arbre, la religiosité humaine, leur est étrangère. Il s’agit donc de regrouper cette connaissance en une base de données commune. Typiquement, pour chaque sujet religieux, DRH propose un ensemble de questions précises, quantitatives si possible, auxquelles les meilleurs spécialistes ont à répondre. Par exemple, à propos des textes de St Paul entre 48 et 56, le conocenti devra dire à combien de personnes s’adresse le texte, si un Dieu suprême est présent, s’il prend position sur le meurtre, sur les rumeurs, sur le respect envers les vieux, et
ainsi de suite avec une 60-aine d’autres questions du genre. Convaincre les meilleurs spécialistes de prendre les quelques 2 heures nécessaires à remplir le questionnaire n’est pas la moindre des difficultés rencontrées par Norenzayan et Slingerland. Pour le moment, informé de leur effort, j’en suivrai les développements avec intérêt.
– 927 – 9. BIOTECHNOLOGIE, BIOSÉCURITÉ. Alain, Lazare, Delphine, Séverine. Sécuriser gene-drive dans les laboratoires. La technique du gene-drive semble être devenue facilement réalisable grâce à CRISPR. Le principe de la méthode fait que tout OGM introduit dans une population naturelle s’en empare à coup sûr, ceci d’autant plus rapidement que le temps de génération est court. L’OGM gene-drive est l’espèce invasive absolue. Il s’agit donc d’être strict pour ne pas laisser de tels organismes hors contrôle. Le présent article, soumis par une petite 30-aine d’auteurs, presque tous américains, recommande des mesures pour éviter une dissémination non désirée. Le sous-titre est explicite: » de multiples stratégies de confinement sévère doivent être utilisées lorsque cela est possible. »
À mon avis l’article est à côté de la plaque. Il s’adresse aux gentils biologistes, responsables, compétents et parfaitement équipés. Ce n’est pas ceux-ci qui posent problème; ce sont tous les autres auxquels il manquerait un seul de ces 4 adjectifs. C’est eux qu’il faut aller chercher. On ne les atteindra pas avec des appels à la bonne volonté et l’auto régulation. Malheureusement, je n’ai pas la méthode. Le « … lorsque cela est possible » du sous-titre des auteurs trahit le fait qu’eux non plus n’ont pas la solution, mais qu’ils ne voudraient surtout pas que cette lacune avouée vienne à gêner leur travail.