Actualité scientifique selon Jacques
Décembre 2015
(Nous gardons un oeil attentif sur la cryo-ME:
– 10.12.231-6. RNApol III, CRYO-EM. Clément. N. A. Hoffmann et al. & Christoph W. Müller au EMBL (voir ci-dessous).
– 18.12.1492. Wu et al. Structure of the voltage-gated calcium channel Cav 1.1 complex. 4.2Å, ≈170x100x100Å). DOI: 10.1126/science.aad2395.
Remarque inappropriée. Je suis fâché avec Science. D’abord il arrive avec 3 bonnes semaines de retard. Ensuite, on y trouve peu de cryo-me ce mois et puis, comble des combles, la méthode n’a pas été identifiée parmi les 10 percées de l’année; détestable! Nature est mieux.)
Octobre 2015. National Geographic.
ANTHROPOLOGIE. Jacques H. Homo naledi, une étonnante découverte en Afrique du Sud. 26 pages pour exposer la découverte. En bref: (i) Une extraordinairement riche collection de centaines de fossiles humains concentrés dans une chambre extrêmement difficile d’accès dans une caverne non loin de Johannesburg. (ii) Un Homo actuellement inclassable: cerveau moitié de l’homme moderne, pieds et jambes presque sapiens, bras et mains simiesques; H. naledi pourrait être presque moderne (100’000 ans), vieux (2 millions), très vieux (4 mio, plus vieux même que Lucy); il est actuellement inclassable. (iii) Une méthode de travail inhabituelle dans le domaine: toutes les données sont rendues publiques alors que l’analyse ne fait que commencer – en particulier il n’y a pas de datation. C’est passionnant!
Mais se peut-il que tout ceci ne soit qu’un gros pipo?
Ce ne serait pas neuf; l’histoire de l’anthropologie est riche en tricheries ou erreurs monumentales. Homo naledi, une tricherie? Difficile. Trop de personnes sont impliquées. Par contre, je suivrais facilement Trivers dans son livre « Deceit and self-deception. Fooling Yourself the Better to Fool Others. » (2011: Penguin Books. 397.) M. Schermer, éditeur de Skeptic magazine propose dans sa chronique du Sci. Am. de janvier prochain (p.71) que cette trouvaille ne représente que la cache des méfaits d’une tribu assassine
Découverte extraordinaire ou montage médiatique autour de pas grand-chose, nous en saurons bientôt plus, en particulier quand l’âge de ces trouvailles sera déterminé.
01.12.15 Scientific American. Rien d’inspirant
National Geographic
03.12.2015. Nasture 528, 7580.
– S1 – S17. Outlook. BIOTECHNOLOGY, GENOME EDITION. Alain, Marc, Sévérine, Delphine. Le kit pour CRISPR-Cas9 livré par poste coute 60$ et est facile à utiliser. L’an passé il s’en est vendu 20’000 unités. Une dizaine d’articles font le point.
– Double page pour les schémas de fonctionnements des doigts de Zn, TALENs et surtout CRISPR-Cas9 ainsi que sur le statut légal des interventions sur le génome dans le monde.
– Deux pages d’histoire récente. Au départ, Emmanuelle Charpentier visait des bactéries résistantes aux virus pour les joghurtes, mais, avec ses collègues, ils ont vite compris le potentiel de leur découverte et la nouvelle « got viral » sitôt publié. Entretemps un groupe du MIT (Feng Zhang) tentait de les court-circuiter pour le brevet. Le combat légal est encours ce qui n’empêche pas les licences d’êtres généreusement distribuées et la recherche d’exploser.
– Une page sur la prudence nécessaire et les attentes mises dans le sommet international de Washington du début décembre. Paraphrasant le Guardian à propos de COP21, on peut en dire maintenant: « En comparaison avec ce que cet accord aurait pu être, ce n’est pas mal. Par rapport avec ce qu’il aurait dû être, c’est un désastre ». Nous y reviendrons.
– Neuf articles enthousiastes.
– 32 – 33, 51 – 76. Dossier. SOL, AGRICULTURE DURABLE. Timon. 3 gros articles de synthèse sur l’azote, la matière organique et la biodiversité. Sans avoir tout vu et tout compris, j’en retire surtout la complexité du problème et l’insuffisante de nos connaissances générales. 3 gros articles de synthèse.
04.12.15 Science 350, 6265.
–1135, 1180 – 1215. Dossier. VIEILLISSEMENT, SANTÉ, SOCIÉTÉ. François R.
Éditorial: Au Japon en 2030, un tiers de la population aura plus de 65 ans; en 1965, il y avait 9.1 personnes jeunes pour soutenir les séniors (>65 ans); aujourd’hui le rapport est de 2.4. La question débattue ici est alors: comment faire pour que les vieux puissent continuer de travailler? En ce temps de rationalisation, robotisation, surproduction et chômage généralisé, ceci n’est pas la bonne approche. Le RBI (revenu de base inconditionnel) est une bien meilleure solution. Il assurerait une vie décente à chacun et offrirait à tous, jeunes et vieux, la possibilité de travailler dans la mesure de ses désirs et de ses moyens. Préparons-nous, nous voterons en Suisse le 5 juin 2016.
– Vieillissement. Un sujet de recherche de mon institut, le DEE, concerne le vieillissement. Par exemple, on y pose la question suivante: une abeille ouvrière vit à peu près une année; la reine elle peut vivre 30 ans; pourtant, elles ont toutes même ADN. Quels sont les réglages génétiques qui donnent la longévité à la reine?
Il n’y a pas que la génétique. La nourriture, bien sure, joue un rôle. Par exemple, la sous-nutrition peut prolonger de 30% le grand-âge des souris. L’exercice aussi est bon pour la santé des vieux. Chez l’homme, les données sont lacunaires car les vieux tendent à abandonner leur effort et ils ne sont pas fiables dans leurs rapports.
La longue liste des produits qui retardent le vieillissement ou celle des circuits métaboliques sur lesquels une action pourrait être bénéfique attire chercheurs et capital. On retrouve en particulier cet effort chez des firmes qui préparent ou vendent des médicaments pour le cancer car au point de vue de l’organisation de la recherche, la maitrise du vieillissement n’est pas tellement différente de celle sur le cancer. Et puis, mettre sur le marché un médicament sur le cancer est une difficile technique que ces firmes connaissent bien. Par contre le marché des drogues contre le vieillissement n’est pas encore officiellement ouvert. Qu’en est-il hors marché officiel? Sans doute beaucoup d’activité. J’imagine la ruée de vieux mal foutus dès qu’il aura accès à la Rapamycin (inhibiteur de mTROR) que l’on sait prolonger, sans graves effets secondaires, le temps en bonne santé et la durée de vie des souris.
Cette recherche m’inquiète. Encore une dans laquelle la politique (je préfère ce mot plutôt qu’éthique) devrait pouvoir exercer un contrôle déterminant.
– Suite du dossier: 9 articles donnant une vue sur le large éventail des recherches et des possibilités.
– 1148 – 51. Feature. CLIMAT, GEOINGENIERIE, MÉTHANE. Faire revivre la toundra. Ce n’est pas la porte à côté (figure), mais là-bas, pendant deux-millions d’années, de gros mammifères, les mammouths en particulier, paissaient les prairies herbeuses poussant sur un vaste permafrost. L’homme arriva, il y a 13’000 ans peut-être et les gros mammifères disparurent; l’écosystème se transforma en toundra mousseuse et en taïga de buissons peu productifs déposés sur un vaste réservoir de matière organique semi-putréfiée. Avec l’échauffement climatique, cette masse pourrait relâcher une grande quantité de méthane, un puissant gaz à effet de serre (GES). La conséquence estimée serait une contribution à l’échauffement climatique de 0.3° (la moitié de l’effet anthropogénique produit jusqu’ici).
J’imaginais le permafrost comme un sol glacé à la surface duquel la chaleur de l’été peut revitaliser une couche momentanément dégelée. Bref, j’imaginais deux couches: l’une vivante, variable à la surface, l’autre gelée en profondeur. Affaire vue!
J’ai honte. Spécialiste de la congélation, j’aurai dû penser plus loin.
En dessous de zéro degré, un cristal de glace est avide d’incorporer l’eau de la matière qui l’entoure. Celle-ci se déshydrate et se retrouve de plus en plus concentrée et de moins en moins congelable autour du cristal. Avec le temps – on parle ici de milliers ou de millions d’années – le sol gelé est structuré en piliers de glace presque pure entourés de matière organique concentrée, presque sèche, que l’on appelle eutectoïde. Un tel système se modélise et se calcule. La figure de gauche montre le résultat.
Vient alors l’échauffement climatique. Les piliers de glace fondent laissant sur place des mares séparées par des colonnes de matière organique partiellement décomposée et mécaniquement instable. Les bactéries méthanogène prolifèrent dans ce terrain chaotique impropre au développement d’un substrat organique riche et productif.
Le présent article rapporte le remarquable travail de Nikita Zimov, un écologiste idéaliste – et romantique dit-on – qui a développé, et fait vivre à Chersky, une station de recherche écologique. Zimov semble avoir démontré que la présence de grands herbivores sur ce terrain menacé stabilise le sol – probablement en l’enrichissant par la fumure et en empêchant le développement d’espèces trop dominantes.
Voici, à mon sens, un bel exemple de recherche en biogeoingenierie.
09.12.2015 Séminaire BIG de la Biologie.
ÉPIGÉNÉTIQUE. Laurée. Ben Lehner, Cambridge, Barcelone. Mémoire transgénérationnelle et oubli chez C. elegans. Muni du bon promoteur, un certain gène – appelons le X – est beaucoup plus actif à 25° qu’à 20°. Un transgène formé de 100 X munis de leur bon promoteur est introduit dans le génome pour étudier l’effet de la température, dans ces conditions peu naturelles il est vrai. La découverte intéressante est que l’effet du changement de température de 20 à 25° met 3 ou 4 générations pour s’exprimer complètement. Par contre, le retour à la normale met une 15-aine de générations après le retour à la température initiale de 20°. Il s’agit d’un magnifique effet épigénétique que le groupe a pu explorer en détail. Deux phénomènes épigénétiques sont à l’oeuvre. D’une part il y a une condensation de la chromatine de la région concernée. Elle s’établit en 3 ou 4 générations à 25°. De l’autre il y a un miRNA qui produit, lentement, la décondensation de la chromatine.
D’après ce que je comprends, le miRNA peut être produit indépendamment de la température. Reste la question (que je lui ai posée): quel est le signal que la chromatine condensée passe à la génération suivante? Il ne sait pas (la refonte de la chromatine dans la spermatogénèse et l’ovogenèse est semble-t-il peu étudiée). Ainsi, si le sperme et l’ovule arrivent à la fécondation en condition de chromatine spécifiquement condensée, on peut imaginer que cette répression soit conservée à la fécondation. Reste la question de savoir comment la réplication et la recombinaison peut-être faite – à moins que cette dernière ne se fasse pas – et comment garder la mémoire de la condensation quand les histones sont remplacées par des protamines – à moins qu’elles ne le soient pas. Le modèle que je vois est que cette chromatine condensée est une sorte de caillot qui traverse les générations, mais dans lequel l’ADN pourrait quand même être répliqué. Le miRNA aurait l’effet d’un faible dissolvant du caillot. Un système intéressant parce que bien en main pour le comprendre.
Reste encore la question de la fonctionnalité, mais ce système est trop artificiel pour donner les meilleures chances de résoudre cette question fondamentale.
10.12.2015. Nature 528, 7581.
– 173. News. BIOTECHNOLOGIE, BIOÉTHIQUE, CRISPR. Conférence du 1-3.12. à Washington sur les aspects éthiques, sociaux et légaux de l’édition de gènes humains. Voir Science du 11.12.
– 185. Comment. DÉVELOPPEMENT, DURABILITÉ. Lucy, Arjun. M. McKinnon. Donner accès aux données concernant le développement durable. Un tiers des rapports de la Banque Mondiale analysant l’impact de projets de développement n’ont jamais été lus. Même quand ce genre de recherche est considérée, il est rarissime qu’elle soit vue globalement dans le contexte de l’ensemble des données disponibles. Pour corriger cette situation, différents efforts sont en cours. Ici est rapporté le travail de 3ie (International Initiative for Impact Evaluation,) une ONG qui veut aider à ce que les projets de développement soient basés sur l’évidence. Pour ce faire, il s’agit de considérer l’ensemble des travaux relatif à un type d’intervention (par ex., la promotion de l’éducation) avec toutes les conséquences qui peuvent y être liées.
C’est une affaire de Big Data. Il en résulte une grosse matrice dont, par exemple, les colonnes sont les types d’interventions et les lignes les paramètres de qualité de vie. Le premier résultat qui sort de cette étude , c’est de clarifier quels sont les domaines déjà bien documentés et quels sont ceux qui sont laissés en friche. Par exemple, il est vite vu que la moitié des évaluations effectuées ces 50 dernières années l’ont été dans seulement 6 pays. Les auteurs demandent que les agences de financement exigent que les données utilisées pour la conception du projet comme celles obtenues par le projet soient publics et dans des formats compatible à une analyse extérieure. Une telle exigence a fait la force de la recherche sur les structures moléculaires obtenues par diffraction de rayons X – c’est la base de données PDB. La microscopie électronique s’y est fermement attachée dès qu’elle s’est approchée de ce domaine de résolution. Comme la même logique à de bonnes chances de produire les mêmes conséquences, la proposition ci-dessus pourrait être importante en ce qui concerne la recherche sur le développement. Il y a du chemin à faire.
– 294 – 5, 231 – 236. STRUCTURE MOLÉCULAIRE, RNApol III, CRYO-ME. Clément. N. A. Hoffmann et al. & Christoph W. Müller au EMBL. Les RNA polymérases sont les enzymes qui copient l’ADN en ARN. Chez les eucaryotes, la RNApol I s’occupe des grands ARN que l’on trouve dans les ribosomes; la II synthétise les ARN messagers des gènes; la III s’occupe de tous les petits ARN, ceux des ribosomes, ARN de transfert, ARN d’épissage et microARN. Vu sa fonction, Pol III est particulier dans l’initiation et la terminaison de courtes synthèses. Les structures de Pol I et Pol II sont connues depuis pas mal de temps par diffraction des rayons X. Celle de Pol III à résisté jusqu’ici parce que la protéine ne se laisse pas cristalliser. Signe des temps, le bouchon a sauté quand Christophe Muller, le très expérimenté spécialiste de la diffraction des rayons X sur RNA pol au EMBL s’est mis à collaborer avec les cryo-ME du même institut. Le résultat n’a pas trainé. Il révèle en particulier les domaines « mous » du complexe. Certains ont probablement à faire avec le relativement faible attachement du RNA synthétisé qui doit être facilement relâché.
À deux semaines d’intervalle, c’est le 2e article résultant du « transfuge » à la cryo-ME d’un pur diffracteur X.
– 258 – 261. MORALE, PSYCHOLOGIE, SOCIOLOGIE. Fabrice, Laurence K. Michel C., Christine Cl., Laurent L. Black et al. Ontologie de l’équité dans 7 sociétés.
L’expérience est la suivante. Deux enfants, A et B, se font face à une table. Ils reçoivent chacun une ou 4 petites bonnes choses. À chaque partie A a le choix entre deux possibilités. 1) Il peut accepter le cadeau et A et B se régalent. B n’a rien à dire, il ne peut que constater. 2) Il peut le refuser et A et B perdent tout. Selon l’idée que les individus sont des égoïstes rationnels, A devrait accepter ce qu’il reçoit indépendamment de ce que reçoit B. Mais l’être humain est social, moral et compliqué. Même dans le cas où les deux reçoivent la même chose, A refuse quelquefois ce qu’il reçoit (Cas Neutre, N.) Évidemment, il n’aime pas être défavorisé, comme c’est le cas quand B reçoit 4 et lui seulement 1 (Inéquité défavorable: ID). Qu’en est-il dans le cas d’inéquité favorable (IF,) c’est-à-dire quand A reçoit 4 et B seulement 1? L’étude mesure le taux de rejet (R) dans les cas N, IF et ID en fonction de l’âge entre 4 et 15 ans, dans sept sociétés incluant des WEIRD (Western, educated, industrialized, rich and democratic), des natifs du Canada, des villageois indiens, péruviens et ougandais, des habitants de Dakar et des agriculteurs mexicains. Les différentes religions sont représentées. Manquent: les Chinois.
Les figures présentent le résultat. Celle de gauche compare le cas neutre avec l’IF; celle de droite compare le cas neutre avec l’ID. Il faudra bien sûr bien plus de données, mais j’extrais quelques résultats qui me frappent.
– Le taux de rejet R dans le cas neutre N décroît avec l’âge, mais ne descend pas à zéro. Il y a toujours des gamins qui ne tolèrent que l’exclusivité. On peut être un égoïste social.
– L’inéquité défavorable est mal perçue; les grands mammifères connaissent cela aussi. On garde en mémoire la belle vidéo de la fureur du chimpanzé grugé. En général, le préadulte humain sacrifie son gain afin de punir l’accapareur 3 fois sur 4. Il sera intéressant de savoir si la relative indifférence qui persiste dans la population mexicaine est significative.
– Les résultats concernant l’IF sont inquiétants parce qu’ils font ressortir deux populations. Celles qui s’engagent couteusement en faveur du grugé (WEIRD, Canadien et Ougandais) et les autres qui s’en fichent de plus en plus avec l’âge (sauf les Mexicains – bizarre ceux-ci!). On comprend ce comportement de la part des gens de chez nous, le drill social est sévère. Que se passe-t-il avec les Ougandais catholiques et anglicans? Les auteurs suggèrent que dans ce groupe, le comportement pourrait être dû aux écoles dans lesquelles les enfants ont été recrutés. J’aimerai croire que les Ougandais ont une forte culture altruiste. Les auteurs remarquent aussi que le comportement envers l’IF vient lentement avec l’âge. Il est bien clair que le poids culturel est majeur.
– Reste à dénouer l’écheveau de ce qui a une composante génétique et ce qui n’en a pas. En particulier, reste à savoir si la capacité des WEIRD a intégré l’altruisme ID au cours de l’éducation pourrait, comme le suggère N.Wade, être une compétence naturelle d’évolution récente? Les Ougandais nous suggèrent que non, mais la messe n’est pas dite.
– Cette étude n’explore pas au-delà de 15 ans. La suite sera intéressante. On peut s’attendre à bien des changements entre le jeune et le vieil adulte et cette différence pourrait avoir de l’importance sociale – bin dis donc, nous les vieux, nous avons de l’exemple à donner!
11.12.2015. Science 350. 6266.
– 1299. ENGÉNIERIE GENETIQUE, POLITIQUE, CRISPR. Les biologistes. Conférence du 1-3.12. à Washington sur les aspects éthiques, sociaux et légaux de l’édition de gènes humains. L’organisation commune US, GB et Chine était rendue urgente par les récentes possibilités ouvertes par CRISPR/Cas9 et leurs rapides mises en application dans de nombreux laboratoires.
L’utilisation des nouvelles méthodes en médecine somatique ne fait guère débat (on agit sur l’ADN défectueux des cellules d’un individu, que ce soit un foetus ou un adulte). Reste à savoir quelles dysfonctions doivent légitimement être considérées. Un délégué chinois tombait des nues en apprenant que certaines associations de sourds valorisent et défendent leur état; « intéressant, mais pas ça chez nous ».
En ce qui concerne l’action sur les cellules germinales ou l’embryon précoce, c’est-à-dire quand la modification devient héréditaire, les organisateurs sont plutôt favorables à ce que la recherche se fasse, quoi qu’il serrait « irresponsable » de produire une naissance étant donné les incertitudes techniques et le manque de consensus social. Plusieurs voix demandent toutefois de s’y préparer.
Légalement, plus de 40 pays, dont la Suisse et l’Allemagne, interdisent l’ingénierie génétique germinale. L’Angleterre avance pragmatiquement de cas en cas. Le gouvernement US s’interdit de financer de telles opérations, mais la recherche et les cliniques privées ne sont pas restreintes. La recherche dans ce domaine est acceptée en Chine comme l’illustre la fameuse publication qui a fait grand bruit ce printemps. Là encore, les Chinois constatent les différences de point de vue. Faut-il considérer l’embryon comme un être humain ou pas est un débat qui n’est pas de chez eux.
Concluant la conférence, une juriste constate que la « science » de la régulation légale des gènes et plus précaire que la science des gènes. Pour moi, la conférence de Washington a eu le mérite de permettre d’exprimer des positions. Pour ce qui concerne l’encadrement de la recherche et des innovations problématiques, ce fut lamentable.
– 1306 – 9. COMMUNICATION, VIE PRIVÉE. Gilles. News. K. Servick. Mind the phone. Ce petit bracelet qui vous observe et vous dirige, Chantal et Gilles le portent. J’hésite à m’en équiper. L’autre jour à la montagne, le bracelet a conseillé à Gilles de beaucoup boire ayant « pensé » qu’il pourrait être en voie de déshydratation. Dans le présent article, on découvre l’effort en cours pour muscler ces machines. Compter les pas, c’est facile; savoir où la personne se trouve, c’est trivial; tâter le pouls et la respiration, pas de problème; mesurer la transpiration, guère plus difficile. Analyser les mouvements du corps, par exemple pour savoir quand la personne allume sa clope, demande un peu plus. Mais soyons bien certains que l’analyse de toutes ces données, et de bien d’autres encore, en vue de connaitre l’humeur et les intentions du porteur, voilà le domaine prometteur de ces petits gadgets. Jusqu’ici les succès annoncés ne sont qu’à moitié impressionnants; alors que la proportion de ceux qui tiennent 6 mois leur décision d’arrêter de fumer est de l’ordre de 5%; étudié sur plus de 5000 volontaires stimulés par les conseils du bracelet, le taux est monté à 10%. Bravo! Les psychologues sont fermement au travail pour faire intervenir le bracelet de manière à retenir l’individu en manque juste avant qu’il ne passe à l’acte.
Plus généralement, psychologues, sociologues, et, pourquoi pas, les chercheurs qui étudient comment les gens utilisent leur temps, peuvent se préparer à entrer dans le monde du Big Data. Ils feront bien d’apprendre la statistique, à penser juste et, il est trop tard pour être pessimiste (bis), à être sage.
Commentaire de Gilles
Ben, moi je le trouve plutôt positif cet article. Oui, c’est encore un domaine où il est plus question de potentiel que de certitudes. Je suis d’ailleurs assez agacé que Jawbone (la compagnie qui fait mon bracelet) ne semble absolument pas intéressée à produire de l’évidence scientifique pour son machin. Mais il ressort de l’article deux choses. Premièrement que ce type de systèmes offre un espoir de traiter des problèmes de santé publique liés au lifestyle, que l’on sait être extrêmement importants et que les méthodes classiques de la médecine ne permettaient simplement pas de prendre en compte (le 1% se payant des coachs privés, le reste devant se content de sa propre volonté qui, comme on sait, n’est pas une solution). Et secondement, que l’on a maintenant des exemples où l’on peut prouver que ça marche. Limités, certes, mais néanmoins réels (par exemple l’exemple du service de conseil par SMS pour arrêter de fumer qui double le taux de succès).
– 1310 – 2, 1371 – 4. SOCIOBIOLOGIE, CAMPAGNOL, FIDÉLITÉ, MÉMOIRE.
Lia. Okhovat et al., Analyse de la fidélité chez les campagnols des champs. Moins de 5% des mammifères vivent en couples monogames. Le campagnol des champs en est un qui a fait l’objet de recherches intensives. Les hormones ocytocine (chez le femelle) et vasopressines (chez le mâle) sont déterminantes. *Il y a 20 ans, nous faisions le point avec Lia Rosso (résumé dans: Rosso, L. et J. Dubochet, Homo geneticus sera-t-il fidèle? 24 heures, 2009) alors qu’il était montré que le gène avpr1a spécifiant la production de vasopressine a un correspondant humain qui semble aussi jouer un rôle important dans la stabilité des couples. Le présent article actualise les résultats sur la musaraigne. La connaissance de la génétique de la formation du couple est affinée et son corrélat neurobiologique est mis en évidence. Comme d’habitude, les gènes ne décident pas seuls, le milieu a son rôle. Il s’exprime ici à travers l’organisation de l’espace telle que perçue par l’individu. Le progrès est remarquable.
En biologie, rien n’est simple. Tous les mâles (musaraignes) ne sont pas également fidèles ; certains ont une nette tendance à chercher des aventures et cette propension peut être associée à un polymorphisme du gène avpr1a. Remarquablement, les auteurs observent que, chez les mâles infidèles, cet effet se marque dans la région du cerveau qui contrôle la mémoire spatiale. Résulte une série d’expérience qui montre que l’infidélité est liée à la médiocre capacité de s’orienter dans le territoire. Ainsi le mâle fidèle, sait toujours où il est et il sait éviter le risque de se confronter à d’autres mâles agressifs. Le mâle infidèle s’égare souvent en territoires stressant, mais offrant toutefois des occasions d’accouplement sauvages qu’il ne dédaigne pas. La densité de population est ainsi un paramètre important de la fidélité en ménage parce qu’il est plus facile de savoir que l’on est chez soi lorsque le voisin est plus loin.
12.01.15. Fin de la conférence COP21. Le commentaire du Guardian me semble juste:
« En comparaison avec ce que cet accord aurait pu être, c’est un miracle. Par rapport à ce qu’il aurait du être, c’est un désastre. »
Notons que, pour savoir de quoi il s’agit, chacun devrait avoir sous la main les données de base. Le résumé en 31 pages du rapport IPCC pour les politiciens est ce qu’il y a de mieux.
http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/AR5_SYR_FINAL_SPM.pdf
18.12.15 Science 350, 6267.
-1471 BIOSÉCURITÉ, BIORISQUES. Marc A, Christine F., Delphine, Séverine, etc. Francis Fukuyama (l’auteur de « la fin de l’histoire) et al. Pour une approche plus systématique des risques biologiques. Dans notre blog, nous suivons de près l’émergence des risques issus des nouvelles biotechnologies et de la façon de les mettre en oeuvre (par exemple par DIY-biol.). Nous constatons que, jusqu’ici, – à part Pinker qui appel à aller plus vite sans discuter – le débat est presque exclusivement porté par ceux qui développent ou sont directement intéressés par ces méthodes. Leur retenue à contrôler les risques est patente et les méthodes envisagées sont inadéquates.
Fukuyama et ses collègues me semblent être la première voix extérieure à remettre les pendules à l’heure et placer le problème à sa juste position. Je compte y revenir ailleurs.
Note: le 20 janvier, Denis Duboule, une star de la biologie romande, déclarait à la Radio romande: » Il y a trop d’éthique et pas assez de bon sens en ce qui concerne la modification génétique chez l’humain » . C’est la version locale du « Get off the way » que Steven Pinker conseillait aux éthiciens dans le Boston Globe.
1.01.16, Scientific American
– 20 – 29. NEURIBIOLOGIE, GPS. Françoise S. M.B.Moser et E.I. Moser (Prix Nobel 2014 pour ses travaux sur les cellules de localisation spatiales). La neurobiologie de la localisation et mémorisation spatiale. Trois niveaux: (i) Un ver sait aller où l’odeur est la plus forte. (ii) Une abeille peut butiner longtemps un vaste territoire avant de revenir tout droit à la ruche. (iii) Une souris ou un humain, choisit le meilleur chemin pour aller à l’endroit souhaité. Pour ce faire elle doit avoir une carte mentale de son territoire et un « GPS » qui lui dit où elle se trouve sur sa carte. Tout ceci est le fait de deux groupes de cellules localisées tout au fond du cerveau: Les « place cells » (PC) dans l’hippocampe et les « grid cells » (GC) dans le cortex entorhinal, à l’extrémité de l’hippocampe. Les PC sont des neurones qui émettent leurs décharges quand l’individu se trouve en un lieu défini. Les GC représentent un autre niveau d’intégration. Elles émettent leur signal selon leur disposition par rapport aux autres cellules organisées en réseaux hexagonaux, ceux-ci correspondant à différentes échelles sur le terrain. D’autres cellules du cortex entorhinal informent sur l’orientation de la tête, sur la vitesse ou sur le type d’obstacle rencontré. Ainsi, quand une PC annonce « je suis là », elle a reçu des GC toute sorte d’information sur l’environnement qui donne sens au lieu.
Nous avons rapporté précédemment comment l’hippocampe est le lieu de la base mémorielle de notre pensée. On dit qu’on y trouve quelque 10’000 « concepts » qui servent de base à notre mémoire. On a parlé ainsi – forcément de manière réductrice – du neurone « belle mère » qui s’excite dès que le concept « belle-mère » est évoqué dans notre esprit. Comment sont codés ces concepts? J’avais dit ailleurs ma curiosité à y comprendre quelque chose. Le système GC/PC donne un élément de réponse. Lorsqu’une PC flambe parce que la souris est en un lieu déterminé, cette information est associée à bien d’autres concernant la région et l’état de l’individu en ce moment. Le signal « ici » est ainsi bien plus qu’une coordonnée GPS, il porte aussi l’état de l’individu à ce moment et ses souvenirs des expériences passées. On n’est peut-être pas si loin du concept « belle-mère ».
– 38 – 47. DÉVELOPPEMENT, AGRICULTURE. EAU. Arjun, Lucy, Jan D. L’empoisonnement de l’eau par l’arsenic. L’arsenic est un poison, abondant dans la croute terrestre. Il est soluble; il est donc emporté par l’eau courante. Avec le temps, l’Ar est à peu près lavé de là biosphère … jusqu’au moment ou l’écoulement des eaux est changé. Et voilà, c’est un drame supplémentaire lié au pompage dans les nappes phréatiques! À pomper plus que ce qui y entre, il faut aller chercher l’eau de plus en plus profondément au risque d’atteindre des zones à forte teneur en Ar. La situation est grave au Bangladesh, elle le deviendra dans beaucoup de régions si l’on n’y prend pas garde.
Le présent article décrit ce que l’on connait actuellement de la présence d’Arsenic dans les eaux souterraines du monde. Cette cartographie doit être affinée pour éviter les dégradations et conduire la remédiation. Avant tout il faut appliquer les mesures bien connues et d’ailleurs généralement légalement définies de gestion de l’eau dans l’agriculture. Cela est vital pour l’Inde, la Chine du Nord et la Californie, c’est à dire dans trois situations politicofinancières complètement différentes. Comment s’y prendra-t-on dans ces trois cas si différents? Nestlé à Henniez pourait aussi aider à trouver la bonne solution; n’est-il pas?
-54 – ENVIRONMENT, CLIMAT, CO2. D. Biello, Christine, D, Laurée, Roger N., Jean-Claude K. L’idée fausse de la capture du carbone. Le monde fonce droit dans le mur à cause du CO2 déversé dans l’atmosphère. Le capturer pour le mettre là où il ne dérangera pas peut sembler une bonne idée. D’autant plus que j’utilise la machine Gisag pour gazéifier l’eau potable et je vois combien il est facile de fixer du CO2. COP21 a fait grand cas de l’idée. Puisqu’il est si difficile de faire face à l’exigence de réduction massive d’émission de CO2, l’hypothétique solution de la capture permet de réduire l’exigence en faisant semblant de garder bonne conscience. Qu’en est-il en fait?
Selon le présent article, la dure réalité est que, pour le moment et pour l’avenir prévisible, aucune solution réaliste n’est envisageable. Je l’avais déjà compris, l’idée d’injecter dans les océans le CO2 des centrales thermiques n’est pas la bonne; l’acidification des océans est déjà un problème; y verser des fleuves à pH atteignant 3.5 condamnerait la vie aquatique. Les solutions actuellement préconisées consistent à injecter le CO2 liquéfié dans des roches profondes. Étant donné le cout élevé du processus, les solutions préconisées tentent de combiner capture du CO2 et opérations pétrolières. Selon un des projets phares qui se voulait win-win, la centrale à charbon propre de Kemper dans le Mississippi envoie le CO2 capturé dans un champ pétrolifère essoufflé de manière à réactiver sa production. Un tiers du CO2 est ainsi capturé en poussant dehors le précieux pétrole. Les deux autres tiers se perdent. Le projet fut lancé en 2006 pour un cout prévu de 2,4 milliards. Il en est à 3 fois plus et la centrale n’est toujours pas opérationnelle. Apparemment, ceci est le lot de toutes les expériences de captures en cours dans le monde: difficulté de réalisation, délais et surcout. Dans le monde, 33 projets ont été abandonnés depuis 2010.
Toutefois, le surcout de la capture annoncé dans cet article ne me semble pas si terrible; 4cents au moins aux USA alors que le kWh cout 12 cents. Faut-il vraiment condamner la production d’énergie moins polluante parce qu’elle produit un surcout de 33%? Tout serait plus facile si mon rêve selon lequel le prix de la benzine passe à 5fr se réalise. Visiblement ce n’est pas celui de la finance. On le sait, mais on sait aussi que cette finance ne peut perdurer. Elle changera, de grès ou de force.
Autre remarque de l’article: « Comment développer si péniblement la capture du CO2 au Texas alors que l’installation de sources d’énergies renouvelables éoliennes ou solaires est si rapide et si bon marché ?
– 70. RÉCENSSION. François R. Rublak, U., The Astronomer and the Witch: Johannes Kepler’s Fight for His Mother. 2015: Oxford University Press.
Le livre ne semble pas mal, mais préférez l’authentique, le vrai, l’original: Rothen, F., Fils de sorcière. 2009: Édition Baudelaire.