Biologie de la religion. Biologie et génétique suffisent-elles à expliquer la religion ?
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Contribution de Jacques Dubochet
Jacques Dubochet, UNIL, présentera le point de vue scientifique de la biologie contemporaine, qui défend l’auto-organisation du vivant en des systèmes de plus en plus complexes évoluant vers la conscience et l’émergence de l’esprit religieux.
1) Je ne présenterai pas le point de vue scientifique de la biologie contemporaine, mais quelques réflexions d’un biologiste.
2) … la biologie contemporaine qui défend l’auto-organisation du vivant en des systèmes de plus en plus complexes évoluant vers la conscience et l’émergence de l’esprit religieux.
Ça, c’est vous qui le dites! En général, les biologistes sont assez pointilleux pour ne pas utiliser les expressions du type « évoluer vers… » ou « agir pour… » parce que ces formes suggèrent une finalité que l’évolution darwinienne rejette.
D’autre part, l’idée de la montée vers la complexité que Teilhard de Chardin reprend abondamment n’est pas une loi, ni même une observation générale de la biologie. Simple ou compliqué n’est pas un critère d’évolution. C’est ce qui marche qui compte.
Les idées que j’ai développé.
Résumé.
Quand, la conscience est apparue au cours de l’évolution de l’homme, ses capacités à faire en ont été dramatiquement augmentées. Malheureusement, face à ces nouvelles facultés, la tendance naturelle favorise les solutions individuelles. Le je passe avant le nous ; à court terme l’égoïsme gagne sur la collaboration. Pourtant, à la longue, ce sont quand même les solutions collectives qui réussissent le mieux. L’évolution a donc sélectionné une panoplie de facultés humaines qui valorise le long terme par rapport à l’immédiat, le généreux face à l’égoïsme. J’appelle cette propriété la transcendance. La religion en est un des avatars.
Développements
L’être humain vit sur deux jambes. La première, c’est l’individu, le je ; la seconde, c’est l’être social, le nous. Face aux problèmes de la vie, le je offre généralement la première solution; c’est la solution par défaut. Le nous est plus laborieux à mettre en œuvre, mais il offre des solutions plus riches et souvent incomparablement meilleures. Les enfants apprennent par expérience et éducation qu’il est souvent avantageux de renoncer au bien immédiat afin d’obtenir, plus tard, un bien plus grand. C’est le principe de réalité.
Les sociétés aussi doivent établir leurs règles pour que l’intérêt collectif résiste à la mainmise des intérêts individuels. Cela était relativement simple dans les sociétés « primitives » des chasseurs-cueilleurs. Cela est devenu très compliqué depuis. Je vous parlerai du village valaisan ou j’ai grandi dans les années 50.
La mondialisation remet en cause les règles laborieusement établies dans toutes les sociétés. L’intérêt individuel se précipite dans la brèche. Aujourd’hui, la loi du chacun-pour-soi et du profit maximum fleurit. Comment va-t-on rétablir la nouvelle organisation sociale globale à la hauteur de la grandeur de l’esprit humain ? Ici, vous êtes sans doute nombreux à penser que la solution viendra de la religion. J’ai mes doutes.
La tension entre l’intérêt individuel et collectif n’est pas seulement une affaire de psychologie, de sociologie ou d’ethnologie, c’est le propre de tout système complexe. Ainsi, la vie est tout entière imprégnée de la tension entre le je et le nous. Par exemple, chaque cellule de notre organisme est maintenue à sa place et sa fonction par un réseau de contrôles stricts. Il n’est pas bon qu’elle s’en échappe. C’est le début d’un cancer.
Y a-t-il plus bel exemple que le sexe pour mettre en opposition collaboration et intérêt individuel ? Pourquoi le sexe ? Pourquoi la femelle abandonne-t-elle la moitié de ses gènes pour prendre en charge la moitié de ceux d’un mâle de passage ? Parce que, à la longue, les solutions individuelles échouent face aux solutions collectives ; pour survivre, il faut collaborer, avec tous les aléas et les complications que cela implique. La nature a sélectionné des gardes fous étonnants pour protéger la collaboration du sexe contre l’égoïsme de la parthénogenèse. J’expliquerai comment les chromosomes X et Y préservent ce jeu.
Viennent l’homme et la conscience avec la capacité d’élaborer une représentation mentale du monde dans laquelle il peut naviguer. Rompant avec 4 milliards d’années d’évolution biologique sans but ni direction, la conscience ouvre la finalité en donnant à l’homme la capacité d’agir à dessein, vers un but. C’est nouveau. C’est révolutionnaire. Les individus s’y seraient précipités et les systèmes sociaux n’y auraient pas résisté si l’évolution n’avait pas sélectionné des garde-fous sévères assurant que la nouvelle capacité intellectuelle ne serve pas seulement l’intérêt individuel, mais préserve aussi l’intérêt collectif. Il a fallu, pour que l’humain en développement ne se perde pas dans sa propre évolution, que l’intérêt à long terme soit protégé de l’égoïsme du bénéfice immédiat. Ainsi, c’est mon hypothèse, est apparue dans la lignée humaine, après qu’elle se soit séparée de celle du chimpanzé, une propriété remarquable: l’attrait de la transcendance. Concrètement il s’agit de l’étrange attirance vers un monde dépassant l’intérêt immédiat et les petites limites de l’individu, du cercle familial restreint. C’est la capacité d’amour envers ceux qui ne sont pas de sa propre lignée, le désir du dépassement de soi, le concept d’infini, probablement aussi, le sens du beau. La religion en découle, façonnée par le contexte social.
Soulignons les points clés.
– Avec la conscience, les capacités individuelles ont explosé. Elles ont remis en cause les organisations sociales. L’espèce n’y aurait pas survécu sans l’émergence, dans un des groupes préhumains, d’une nouvelle propriété que j’appelle la transcendance. C’est par elle que l’égoïsme naturel a été suffisamment dépassé pour que puissent s’établir les formes de sociétés qu’exigeaient les nouvelles capacités humaines. Le langage en a été instrumental. Les religions en sont une expression sociale récurrente.
– Nous l’avons dit, la conscience rompt avec l’évolution darwinienne. Par la conscience l’être humain finalise son action (pour une part au moins) ; il agit dans un but. Ainsi, qu’il le veuille ou non, il devient responsable. Responsable pour faire quoi ? Quatre-milliards d’années de vie sur la Terre nous montrent la dure nécessité de défendre le bien collectif contre l’intérêt individuel. Il le faut pour que ça marche. J’en fais la source de mes valeurs. J’imagine que, dans cette salle, nous les partageons largement.
La faculté de transcendance associée à beaucoup d’intelligence et d’engagement offre – ceci est ma deuxième hypothèse – la chance de construire harmonieusement la société qu’exige notre responsabilité. Y’a du boulot. Retroussons nos manches.
Jacques Dubochet, le 22.11.2016
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